Dans un autre siècle, voire une autre vie, j'ai été chroniqueur de boxe à La Presse. Pendant un week-end. Le temps d'une pesée le vendredi, d'un gala le samedi et d'un point de presse le dimanche. «Ringside», comme on dit, en compagnie de quelque 20 000 personnes au Centre Molson.

L'occasion? Le fameux combat revanche entre Stéphane Ouellet et Dave Hilton, au printemps 1999. Des mois d'anticipation, une petite frénésie médiatique. Une carte où l'on a découvert pour la première fois le futur champion Joachim Alcine, où Éric Lucas a confirmé ses propres prétentions à un titre mondial... et où Stéphane Ouellet, dit «le poète», s'est fait mettre K.-O. au troisième round.

Je m'en souviens comme si c'était hier: des conseils de l'ami Ronald, de l'écho sourd du crochet gauche de Davey Hilton, de Stéphane Ouellet, anéanti, venu nous dire après le combat, les yeux bouffis, qu'il voulait finir sa cinquième secondaire et devenir thanatologue. Pas pour ironiser, mais le point de presse du lendemain matin, au casino, ressemblait à un enterrement. L'enterrement d'un boxeur de 27 ans.

Il n'y a pas plus cinématographique comme sport que la boxe. Parce que ça se passe entre deux personnes dans un ring (contrairement à 12 sur une patinoire) et que, davantage que dans tout autre sport, les boxeurs sont souvent des écorchés. Des gars et des filles de milieux difficiles. Certains s'en sortent en tapant sur un sac. Dautres ne s'en sortent jamais.

La boxe est un sport tragique. Une victoire ou une défaite fait la différence entre un combat de championnat du monde et une fin de carrière abrupte. Entre une bonne paye et plus de paye du tout. Entre la vie et la mort parfois (parlez-en à Gaétan Hart, dont un violent uppercut a mis fin aux jours de Cleveland Denny, il y a 30 ans).

Plusieurs vies de boxeur feraient de bons scénarios de films. Celle de Hart a inspiré un fascinant documentaire à Pierre Falardeau et Manon Leriche, Le steak, en 1992.

Celle de Dicky Eklund fut à la fois matière à un documentaire (de HBO, en 1995) et à une fiction. La «fierté de Lowell, Mass.», comme on l'a surnommé (je croyais que c'était Jack Kerouac), a eu un certain succès dans les années 70, envoyant même au tapis Sugar Ray Leonard dans un match qu'il a finalement perdu.

Sa dépendance au crack lui a valu quelques séjours en prison et une fin de carrière peu glorieuse. Mais comme entraîneur de son jeune demi-frère, Micky Ward, il a trouvé une sorte de rédemption dans le sport, à la fin des années 90.

L'histoire des frères Dicky et Micky est racontée avec brio par David O. Russell (Three Kings, I Heart Huckabees) dans The Fighter, à l'affiche vendredi. Le «boxeur» du titre a beau être Micky Ward (Mark Wahlberg), c'est son aîné Dicky qui vole la vedette. Le personnage, tiraillé entre ses désirs de succès inassouvis, sa mère envahissante (Melissa Leo) et sa toxicomanie, est interprété avec une énergie tragique par Christian Bale, si stoïque ailleurs (chez Christopher Nolan, notamment).

Au-delà de la transformation physique - l'acteur est pratiquement méconnaissable en junkie -, cette performance brute et affirmée devrait logiquement valoir à Bale une nomination aux Oscars. Melissa Leo (vue dans Frozen River), en mère étouffante d'un clan serré et coloré de neuf enfants, mêlée aux aspirations sportives de ses fils, est tout aussi crédible. Comme l'est du reste Mark Wahlberg, dont les scènes de boxe sont fort réalistes.

The Fighter n'est sans doute pas le film de l'année. C'est à la fois une chronique familiale et un drame sportif somme toute conventionnel, auxquels s'entremêlent une romance et une satire sociale. Comme pour bien d'autres oeuvres «inspirées d'histoires vraies», on s'est permis de trafiquer quelque peu la réalité (la chronologie des événements, en particulier) pour rendre le scénario plus efficace.

Est-ce parce que j'ai toujours eu un faible pour les films de boxe, pour leurs personnages tourmentés, pour le crescendo dramatique d'une succession de rounds, que The Fighter m'a tant plu? Peut-être. De On the Waterfront à Ali, en passant par Rocky, Raging Bull, voire The Hurricane, le sous-genre, forcément inégal selon les titres, m'a toujours interpellé.

J'ai découvert avec beaucoup d'intérêt récemment le documentaire de Martin Guérin, Voir Ali, sur la venue improbable de Muhammad Ali à Rouyn-Noranda au début des années 80. J'ai adoré Facing Ali, documentaire de 2009 signé Pete McCormack, qui raconte le parcours du champion du point de vue de ses adversaires, tout autant que le célèbre When We Were Kings de Leon Gast (1996) sur le fameux Rumble in the Jungle entre Ali et George Forman au Zaïre.

Micky Ward n'est pas Muhammad Ali. Tant s'en faut. Il a remporté des titres mineurs et connu une carrière en dents de scie, marquée surtout par trois combats jugés mémorables avec le champion montréalais Arturo Gatti. Gatti, trouvé mort l'an dernier dans une chambre d'hôtel au Brésil, dont la vie tragique aurait pu aussi inspirer un scénario de film. Tout autant que celle de son ancien beau-frère Dave Hilton, issu d'une famille de boxeurs liée à la mafia, déchu de son titre mondial après sa condamnation pour viol sur des mineures (ses propres filles). Ce film-là n'aurait pas de happy end.