Comme il l'a calmement expliqué à Piers Morgan sur les ondes de CNN, Ricky Gervais n'a rien à se reprocher et estime qu'il n'a rien fait de mal. C'était la première fois que le célèbre humoriste britannique, né dans un bain d'acide et d'humour noir, accordait une entrevue depuis le gala des Golden Globes où le gratin hollywoodien a goûté à son humour féroce avant de se faire découper en petits morceaux par sa tronçonneuse

«Ils m'ont engagé pour faire une job et je l'ai faite», a plaidé Ricky Gervais pour justifier la job de bras qu'il a exécutée dans le plus pur respect des règles de l'art de la démolition.

Le Botox d'Angelina Jolie, le squelette gai dans le placard de Tom Cruise, la fréquentation abusive des centres de détention et de désintox par l'acteur Robert Downey Jr et la paternité tardive de Bruce Willis qu'il a présenté comme le papa d'Ashton Kutcher, le partenaire de Demi Moore, il n'y a rien de tabou ou de gênant que Ricky Gervais n'a pas dit durant cette soirée qu'il animait pour la deuxième année. Longtemps, la marque de commerce de ce gala sans présentateur-vedette était un humour bon enfant pimenté parfois par les frasques d'un Jack Nicholson titubant jusqu'à la scène en ricanant. Avec Ricky Gervais, l'humour a perdu son rôle de lubrifiant social, pour atteindre des niveaux toxiques inégalés. En même temps, quand on embauche Ricky Gervais pour mettre du piquant dans un gala, on n'embauche pas Winnie l'Ourson. On embauche le Terminator.

Les commentateurs ont surtout rappelé qu'il était le créateur de la série culte The Office. Ils ont passé sous silence, sa carrière de stand-up comic coriace et «heavy métal». Onze de ses meilleurs moments sont disponibles sur YouTube. On y découvre un kamikaze de l'humour qui multiplie les blagues sur le sida comme sur l'Holocauste avec un sans-gêne stupéfiant. Difficile de croire que les organisateurs du gala n'avaient pas vu les extraits de ce palmarès édifiant. Ils ont beau plaider que l'homme est allé trop loin, trop loin fait partie de sa feuille de route depuis longtemps.

Sur les ondes de CNN, jeudi soir, Ricky Gervais a rappelé à Piers Morgan qu'il était un outsider de Hollywood et qu'à ce titre, il aurait était absolument nauséabond qu'il s'amène en flattant les vedettes dans le sens du poil et en se montrant téteux et complaisant. C'est un point important qui explique pourquoi Ricky Gervais a osé confronter l'éléphant dans la salle, comme il le dit si bien lui-même. En d'autres mots, s'il a pu jouer au trouble-fête au milieu d'une famille dysfonctionnelle mais tricotée serré, c'est en sa qualité d'étranger et d'intrus. N'ayant pas de liens affectifs avec une majorité de vedettes dans la salle, ayant face à eux une distance critique alimentée par le fait qu'il travaille plus souvent à Londres qu'à Los Angeles, il pouvait «varger» dessus en toute liberté. Cela nous ramène chez nous où un certain nombre de mes collègues ont déploré le fait qu'il n'y ait pas de Ricky Gervais québécois pour mettre un peu de soufre dans nos galas. Or pour atteindre ce niveau de toxicité, il faudrait que l'animateur vienne d'ailleurs. Sinon, vu la petitesse du milieu et le nombre important de «veudettes» qui auraient de la «pé-peine» le lendemain dans les journaux, ça serait invivable pour le pauvre animateur local. En même temps, est-ce vraiment bien nécessaire qu'un humoriste étranger vienne nous dire que nos vedettes sont des botoxés, sous-doués, drogués et débauchés? Je ne crois pas.

La vraie leçon de cette affaire, ce n'est pas que les galas québécois ont besoin d'un trouble-fête. C'est plutôt que le degré de susceptibilité de Hollywood est, en fin de compte, aussi élevé que chez nous. Pour une fois, quand on se compare, on se console.