Un quart de siècle déjà. Dans une (rare) entrevue, accordée à René Homier-Roy à la radio la semaine dernière, Denys Arcand faisait remarquer à quel point il avait pourtant l'impression de l'avoir tourné hier à peine. À l'occasion de la célébration des noces d'argent entre un cinéaste et son film, une projection spéciale du Déclin de l'empire américain aura lieu mardi soir au Cinéma Impérial dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois. Un honneur tout à fait mérité. Il y a en effet tout lieu de souligner l'importance qu'occupe cette oeuvre culte dans notre cinématographie nationale.

Il faut se reporter à l'époque de sa création pour en mesurer l'impact. Denys Arcand, qui n'avait alors pas réalisé de film de fiction original depuis Gina, produit 11 ans plus tôt, a su circonscrire l'air du temps de façon brillante en abordant directement la question des relations intimes et du désordre amoureux. Du coup, l'Occident au grand complet s'est reconnu dans le miroir que lui tendait ce groupe d'universitaires québécois un peu pontifiants, préoccupés surtout par leurs histoires de cul.

Bien sûr, le cinéma québécois s'était déjà fait valoir auparavant sur le plan international grâce aux Perrault, Lefebvre, Brault, Carle et compagnie. Mais Le déclin, ce «film contraire à toutes les règles de la cinématographie» *, fut le tout premier film québécois à obtenir un véritable succès populaire à l'extérieur du circuit des festivals de cinéma. En France, particulièrement, les conversations lubriques et libératrices des protagonistes ont eu un fort écho (près de 450 000 entrées à Paris seulement), propulsant l'auteur du long métrage et ses interprètes dans le gotha des cercles les plus sélects du cinéma hexagonal.

Dans la foulée, des films ont même été conçus expressément pour quelques-uns d'entre eux là-bas. Rémy Girard fut la tête d'affiche de La pagaille, un film de Pascal Thomas (qui n'a pas obtenu le succès escompté); Louise Portal s'est retrouvée au beau milieu de la bande de Jean-Marie Poiré pour interpréter la rockeuse québécoise de Mes meilleurs copains. Yves Jacques mène aussi une carrière enviable outre-Atlantique.

Non seulement Le déclin a changé à jamais la destinée de tous ceux qui y étaient liés, mais il annonçait aussi le signe d'une nouvelle maturité pour notre cinéma. Résolument moderne, bien ancrée dans son temps, et offerte à une époque où l'intellectualisme et l'intelligence n'étaient pas encore des tares honteuses, la chronique sociale de Denys Arcand a su faire vibrer nos cordes sensibles. Elle a aussi prouvé que qualité et succès populaire ne sont pas toujours incompatibles.

Évidemment, le contexte de production du cinéma québécois n'était pas du tout le même. À peine plus d'une dizaine de longs métrages étaient produits à l'époque, soit trois fois moins que maintenant. On commençait aussi alors à se décomplexer un peu par rapport à la diversité de l'offre. C'est d'ailleurs en 1986 qu'Yves Simoneau a lancé le (très bon) thriller Pouvoir intime.

Denys Arcand a souvent déclaré que Le déclin de l'empire américain était «son film de la dernière chance». Il espérait bien évidemment un succès, mais il était quand même difficile de croire qu'avec ce «petit film personnel» il deviendrait, presque du jour au lendemain, le grand ambassadeur du cinéma québécois sur la scène internationale.

Un rôle qui, trois nominations aux Oscars plus tard (et une victoire en 2004 grâce aux Invasions barbares), n'a visiblement pas toujours été de tout repos. Vingt-cinq ans plus tard, un autre prénommé Denis, aujourd'hui du même âge qu'avait le vénéré cinéaste au moment du Déclin (à deux ans près), s'apprête à prendre le relais. Personne n'oubliera toutefois que Denys Arcand a pavé la voie à tous les Denis Villeneuve du Québec.

Pas de Croisette pour le Café de Flore

Avant les Fêtes, les producteurs de Café de Flore ne cachaient pas leur volonté de soumettre le nouveau film de Jean-Marc Vallée aux sélectionneurs du Festival de Cannes. Une idée alors pleine de sens. Non seulement le réalisateur québécois jouit-il déjà d'une bonne réputation en France grâce à C.R.A.Z.Y., mais la perspective d'une montée des marches en compagnie de Vanessa Paradis, la star du film, aurait peut-être aussi pu faire pencher la balance en faveur d'une sélection.

Or, Pierre Even, codirecteur de la société de production Item 7, a annoncé cette semaine un changement de cap. On vise maintenant un lancement dans les grands festivals de l'automne, c'est-à-dire, Venise et Toronto. «Jean-Marc a besoin de temps pour assurer la postproduction du film, expliquait hier le producteur. On ne veut rien bâcler. Les échéances pour Cannes sont trop proches. Cela ne veut pas dire qu'il y a un problème avec le film. Au contraire, tout va bien!»

Even rappelle en outre que C.R.A.Z.Y. avait déjà très bien tiré son épingle du jeu en empruntant un parcours similaire il y a quelques années. La carrière remarquable d'Incendies tend aussi à prouver que les festivals de l'automne peuvent également avoir un impact tangible sur le plan international.

Mais ça nous fera quand même bien long à attendre, me semble-t-il...

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* Denys Arcand - Première no. 119 - février 1987