C'était écrit dans le ciel de Berlin et le ciel ne s'est pas trompé. Le film iranien Nader et Simin: une séparation, écrit et réalisé par Asghar Farhadi, a remporté l'Ours d'or de la 61e Berlinale. Porté aux nues par la presse comme par le public dès sa première projection, ce film racontant la séparation d'un couple et ses conséquences sur sa progéniture, dans le Téhéran d'aujourd'hui, était destiné à remporter l'honneur suprême. Plus étonnante, par contre, est la décision du jury présidé par l'actrice Isabella Rossellini d'accorder les prix d'interprétation à l'ensemble des interprètes masculins et féminins du film.

Sans rien enlever au talent des magnifiques actrices dont Sarina, fille du réalisateur, ni à leurs camarades masculins, le contexte politique a de toute évidence joué en leur faveur. N'eût été la situation difficile des cinéastes en Iran et surtout le terrible interdit qui pèse sur Jafar Panahi, qui ne peut tourner ni sortir de l'Iran pour 20 ans, n'eût été son siège vide de juré et sa photo affichée partout en ville, les choix du jury auraient peut-être été différents. Dans la catégorie de l'interprétation, du moins.

Pour ce qui est d'Asghar Farhadi, 39 ans, diplômé en théâtre et en cinéma de l'Université de Téhéran, scénariste et réalisateur pour la télé, il n'en est pas à son premier honneur. En 2009, il avait remporté l'Ours d'argent de la réalisation pour À propos d'Elly. Cette année, quelques jours avant sa victoire, je l'ai rencontré en petit comité autour d'un café. Petit, discret, préférant s'exprimer en farsi même s'il parle anglais, il a raconté que son film avait été inspiré par sa fille Sarina, en apparence calme mais qui est un océan de tourments intérieurs. «À la base, j'ai voulu parler d'elle et de sa génération et demander s'il y a un avenir pour les jeunes en Iran. Je n'ai pas de réponse claire à cette question. Je ne fais que la poser.»

Contrairement aux films de Panahi, interdits de diffusion en Iran, ceux de Farhadi sont projetés dans son pays. Au dernier festival du film de Téhéran à l'automne, les gens ont fait la file pendant toute la nuit pour obtenir des billets. «Des vitres ont été brisées et le tout a failli virer à l'émeute», raconte le cinéaste, ajoutant que la réaction des Iraniens a été aussi enthousiaste que celle des Allemands.

Mais encore. Pourquoi ses films sont-ils montrés et ceux de Panahi interdits? «Pour deux raisons. Comme réalisateur, je préfère m'exprimer dans mes films plutôt qu'à l'extérieur. De la même manière, mes films abordent les choses de manière indirecte plutôt que directe. Cela dit, j'ai eu des problèmes, moi aussi, avec les autorités. Le tournage du film a été interrompu quand j'ai exprimé ma solidarité avec Jafar et avec mes autres camarades. Et si j'ai pu reprendre le tournage, c'est uniquement grâce à la pression populaire et médiatique.»

Nader et Simin se termine sur une note poignante lorsque Sarina doit faire un choix cruel: s'exiler avec sa mère ou perpétuer la tradition avec son père. Le réalisateur opte pour une fin ouverte, laissant le spectateur deviner ce que Sarina a choisi de faire. «Cette fille fait face à un dilemme tragique, raconte-t-il. Et en tant que père - et non en tant que cinéaste -, je crois qu'elle n'ira ni avec sa mère ni avec son père, mais qu'elle trouvera plutôt une troisième solution.» L'exil ou le statu quo? Autant dire que le dilemme de Sarina est peut-être aussi celui de son cinéaste de père.

Ours d'argent et autres consolations

Tel que prévu, l'Ours d'argent est allé au cinéaste hongrois Béla Tarr pour Le cheval de Turin, film radical qui raconte, en noir et blanc et en seulement 30 plans étendus sur deux heures et demie, la relation entre un vieux paysan et son cheval de plus en plus récalcitrant. Béla Tarr, qui n'a que 56 ans, a annoncé que c'était probablement son dernier film. Promesse ou menace? Seul son producteur le sait.

Quant à l'Ours d'argent de la meilleure réalisation, prix remporté l'an dernier par Roman Polanski, il est allé à l'Allemand Ulrich Köhler pour La maladie du sommeil, choix étrange pour un film un brin confus campé dans l'Afrique des humanitaires. Mais Köhler appartient à la nouvelle vague du cinéma allemand, section Berlin. Ceci expliquant peut-être cela.

Dernière surprise: un seul film réalisé par une femme, sur les quatre de la compétition, a été récompensé: Le prix a valu à Paula Markovitch l'Ours d'argent de la meilleure direction artistique. Le film raconte le lourd secret que porte une petite fille réfugiée avec sa mère dans une station balnéaire dans l'Argentine de la junte militaire des années 70.

Finalement, bravo à Stéphane Lafleur qui a remporté le prix du jury oecuménique de la section Forum pour En terrains connus, film qui a charmé Berlin et fait salle comble à toutes ses représentations. Bravo aussi à Patrick Doyon qui a remporté une mention spéciale dans la section Génération K-plus pour son court métrage Dimanche.

Le mot de la fin

La 61e Berlinale est à peine terminée que les critiques fusent: compétition moyenne, déclin et érosion d'un festival miné par la proximité de Cannes, qui lui vole les meilleurs films. Tout cela est peut-être vrai, mais mon expérience, c'est que, pendant sept jours, j'ai vu des films de partout, pas parfaits mais toujours intéressants et pertinents, avec un penchant salutaire pour les oeuvres politiques et engagées. La Berlinale n'a rien à voir avec le Festival de Cannes et c'est tant mieux. Dommage, par contre, que son influence ne déteigne pas plus sur le FFM.