Bien sûr, tout le monde aurait souhaité un autre dénouement. À 21 h 28, on a pu entendre un soupir collectif de déception souffler sur le Québec tout entier. C’est comme ça ici. Dès que l’un des «nôtres» se distingue sur la scène internationale, soit par un spectacle, soit par un triple axel, soit par un film, on retrouve comme par magie nos racines tricotées serré. Même si Incendies a finalement dû céder l’Oscar du meilleur film en langue étrangère à In a Better World, l’accomplissement de Denis Villeneuve n’en reste pas moins admirable.

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Surtout, cette incursion dans l’antre le plus sélect du show-business lui permettra de jouir d’un luxe que peu d’autres réalisateurs dans le monde peuvent s’offrir: la liberté de choix.

Grâce à sa nouvelle renommée, Villeneuve peut aller où bon son inspiration le mènera. Toutes les portes lui sont ouvertes. À lui d’accorder cette formidable occasion à ses propres désirs de création. D’autant que cette reconnaissance internationale ne peut survenir à un meilleur moment pour le cinéaste québécois. À 43 ans, Denis Villeneuve a déjà une vingtaine d’années de cinéma à son compteur. Et il atteint aujourd’hui sa pleine maturité alors qu’il a encore plusieurs années de création devant lui.

En jetant un coup d’œil à la liste des lauréats de l’Oscar du meilleur film en langue étrangère depuis sa première remise officielle en 1956 (La Strada de Fellini), une constatation s’impose. Les cinéastes les plus marquants n’ont pour la plupart pas travaillé à l’intérieur du système hollywoodien après avoir été consacrés par Hollywood, malgré les ponts d’or offerts pas les studios. Les Bergman, Truffaut, Buñuel, Benigni, Almodovar et compagnie sont restés sourds au chant des sirènes, préférant creuser leur propre sillon afin de construire une œuvre cohérente.

Quelques-uns sont quand même parvenus à jouer habilement sur les deux fronts. Mais pour un Costa-Gavras (Z, 1969), un Volker Schlöndorff (Le tambour, 1979) ou un Ang Lee (Tigre et dragon, 2000), plusieurs lauréats ont gaspillé le capital dont ils disposaient après leur Oscar. Parmi les cas les plus récents, on déplore notamment les choix de Gavin Hood (Tsotsi, 2005) et de Florian Henckel von Donnersmarck (La vie des autres, 2006), dont les expériences hollywoodiennes (Rendition et Wolverine pour le premier, The Tourist pour le second) furent loin d’être concluantes.

C’est dire que même si un Oscar constitue probablement l’honneur le plus mythique sur la planète, son impact reste essentiellement de nature personnelle. Et n’entraîne pas obligatoirement à sa suite une cinématographie nationale entière. Oui, Incendies a profité d’un rayonnement inespéré partout dans le monde grâce à cette sélection aux Oscars.

Est-ce à dire qu’au niveau international, on portera désormais une attention plus particulière au cinéma québécois? Le cinéma argentin jouit-il d’un intérêt accru depuis le sacre d’El secreto de sus ojos (Dans ses yeux) l’an dernier? Comme on dit chez les sportifs, poser la question, c’est y répondre.

En revanche, il est certain que Denis Villeneuve fait désormais partie du cercle sélect des cinéastes que les décideurs suivront de très près. Quand il proposera son prochain film, les sélectionneurs des grands festivals de cinéma feront probablement des pieds et des mains pour en avoir la primeur. Doit-on rappeler que depuis Léolo de Jean-Claude Lauzon, il y a maintenant 19 ans, aucun film québécois réalisé par un cinéaste autre que Denys Arcand n’a été sélectionné en compétition officielle dans un grand festival de cinéma?

Même si le sacre suprême n’a pas eu lieu hier soir, Denis a quand même pris le relais de Denys. Et l’on ne peut que s’en réjouir.