Inclusion: c'était l'un des grands thèmes de la vaste campagne menant à la 83e cérémonie des Oscars. Inclure le public. Lui faire sentir qu'il était invité avec ses stars préférées, tout cela dans l'espoir de dissiper la réputation pas très égalitaire ni très inclusive d'un événement pour privilégiés.

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Mais dimanche soir, l'exclusion est revenue au galop alors que je tentais péniblement de faire mon chemin sur le tapis rouge et de rattraper Annette Bening et Warren Beatty pour leur dire tout le bien que je pensais d'eux.

Par le passé, un cordon symbolique érigé au milieu du tapis rouge séparait les stars des ploucs du cinquième balcon comme moi. Mais le cordon était mou et facilement contournable, avec un peu de ruse. Les choses ont malheureusement bien changé au pays d'Oscar, qui ressemble de plus en plus à un État policier. Un couloir délimité par un mur remplace désormais le cordon mou. Impossible de le franchir. Impossible de faire quoi que ce soit sinon d'avancer avec le troupeau.

Quant aux stars, elles sont désormais inaccessibles au commun des mortels et enfermées dans un couloir en forme de cage gardée farouchement par une haie de gorilles qui n'entendent pas à rire.

Cernée de partout et incapable de sauter le mur ni de déjouer le cordon, je n'ai pas pu dire à Nicole Kidman, moulée dans sa robe de satin Dior et dépassant son mari de trois têtes, que je la trouvais aussi bonne que belle. Pas plus que je n'ai pu complimenter Michelle Williams sur sa robe Chanel incrustée de perles, ni lui souhaiter bonne chance pour sa nomination. Je n'ai même pas pu m'approcher de Denis Villeneuve, qui était en train de serrer la main de Steven Spielberg et de faire des provisions d'enthousiasme pour plus tard.

Lorsque j'ai fini par le retrouver à l'intérieur, au bras de Macha, belle comme un coeur dans sa robe Gucci taupe et chic, il n'en revenait toujours pas d'avoir eu une rencontre du troisième type avec le père d'E.T. «Mes vedettes à moi, ce sont des réalisateurs comme Coppola et Spielberg», m'a-t-il glissé avec un sourire aussi radieux que s'il venait de remporter un Oscar.

Histoires de parenté

Quelques minutes avant, épuisée par ma longue marche avec le troupeau, je me suis assise sur un banc à côté d'un monsieur d'un certain âge. Êtes-vous en nomination? lui ai-je demandé, par pure politesse. «Pas moi, mon fils», m'a-t-il répondu. Son fils n'était nul autre que Darren Aronofsky, réalisateur de Black Swan. «Je ne pense pas qu'il va gagner», m'a lancé ce prof de science d'un air sombre avant d'ajouter: «Pourtant, Dieu sait s'il le mérite.»

J'ai quitté le papa de Darren sans me douter qu'il appartenait au deuxième grand thème de la soirée: la parenté. La grand-mère de James Franco, la mère d'Anne Hathaway, celle du réalisateur de The King's Speech, Tom Hooper. David Seidler, scénariste de 73 ans, a d'entrée de jeu salué son défunt père en acceptant l'Oscar du meilleur scénario original. Il n'y en avait que pour la famille dimanche soir. Les Oscars nous ont habitués à des formules protocolaires à l'égard de la tendre épouse et des enfants restés à la maison, mais jamais à d'aussi nombreuses déclarations d'amour à papa et maman. J'ai l'impression que ce n'est pas parce que la famille est revenue à la mode, mais bien parce qu'elle a foutu le camp complètement, qu'on a tenu à lui rendre à ce point hommage.

Au coin des fumeurs

Le dernier grand thème des Oscars cette année, c'était le renouveau incarné par les deux jeunes animateurs, James Franco et Anne Hathaway. Cette année, nous avait-on promis, le show de télé, traditionnellement soporifique, serait cool, branché, jeune et un peu champ gauche. Pendant les cinq premières minutes du numéro d'ouverture, assez hilarant, j'ai cru qu'on y était et que l'autodérision irrésistible d'Anne Hathaway allait l'emporter sur le ronron habituel.

Mais dès le premier extrait de vieux film et le premier (vieux) discours d'acceptation, j'ai compris que la soirée serait aussi longue que toutes les autres. Aussi ai-je rapidement quitté mon siège au cinquième balcon, rebaptisé le Penthouse par mon voisin, pour aller voir si c'était aussi plate à la télé que dans la vraie vie. Depuis plusieurs années déjà, le coin des fumeurs, dehors sur la terrasse du troisième, est le coin le plus intéressant, celui où les perdants viennent cuver leur déception et les gagnants, décompresser.

Quand je suis arrivée, Melissa Leo, nommée meilleure actrice de soutien pour son rôle dans The Fighter et seule lauréate à avoir échappé un «fuck» pendant son discours d'acceptation, était au pays de l'euphorie avancée. Un verre de champagne dans une main, son Oscar dans l'autre, riant à gorge déployée et parlant très fort, c'était la femme la plus heureuse du monde.

À la table voisine, Geoffrey Rush, celui qui aide Colin Firth à surmonter son bégaiement dans The King's Speech mais qui a perdu l'Oscar du meilleur acteur de soutien aux mains de Christian Bale, prenait sa défaite avec philosophie. «Christian a donné une performance remarquable et je ne peux que m'incliner devant son talent et son travail. Perdre dans de telles conditions fait moins mal.»

Plus tard, c'était au tour de Kim McCraw et de Luc Déry, producteurs d'Incendies, de venir se consoler chez les fumeurs. «On n'est pas surpris de ne pas avoir gagné, m'a dit Kim, mais on est déçus, c'est certain. Ce soir, c'était comme le point culminant d'un gros build-up qui dure depuis cinq semaines. Dire qu'on ne rêvait pas de gagner après tout cela serait mentir.»

J'aurais aimé savoir ce que Denis Villeneuve avait à dire à ce sujet, mais je ne l'ai jamais trouvé. Contrairement à la vaste majorité de ses camarades qui, à un moment ou l'autre, sont sortis de la salle pour prendre un verre ou se dégourdir les jambes, Denis Villeneuve est resté vissé à son siège avec Macha, toute la soirée. À la fin, par contre, il a filé à la vitesse de l'éclair, pour ne pas dire à l'anglaise.

Ce n'est pas grave. Je venais de tomber nez à nez avec la splendide Jennifer Hudson, éclatante dans une robe fourreau mandarine, équipée d'une traîne et surtout d'un gars pour la porter. Je lui ai rappelé notre rencontre dans les toilettes il y a trois ans alors qu'elle pesait le triple de ce qu'elle pèse aujourd'hui. Vous avez beaucoup changé, lui ai-je lancé. «Yes madame, pour changer, j'ai changé», m'a-t-elle répondu avec le même sourire accueillant qu'il y a trois ans.

Puis en me glissant une dernière fois dans le cercle lumineux des stars, j'ai croisé Hilary Swank en Gucci argent. Elle était en compagnie de la statuesque Sharon Stone qui portait une robe moulante noire et un chignon de quatre étages. Hilary s'est tournée vers un type et lui a dit: «Gary, tu connais Sharon?» Tu parles d'une question. Qui au monde ne connaît pas Sharon Stone! Sharon était sur le point de laisser sa souveraine indifférence pleuvoir sur Gary lorsque Hilary l'a informée qu'il était un des producteurs du film The Kids Are All Right. L'oeil de Sharon s'est subitement allumé comme un phare dans la nuit. «Fabulous»! s'est-elle écriée avec un regain d'intérêt. Un peu plus et je lui décernais l'Oscar de la star la plus inclusive...