Le scandale, ce n'est pas que, sur 31 longs métrages de fiction réalisés au Québec l'an dernier, cinq seulement aient été réalisés par des femmes. C'est déplorable, inquiétant, préoccupant, certes.

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Ce qui est scandaleux, c'est que, parmi les hommes qui ont eu le privilège, pour ne pas dire le luxe, de réaliser un film de fiction québécois en 2010, certains ne pourraient d'aucune manière, même en élargissant la définition jusqu'à en diluer complètement le sens, être considérés comme cinéastes.

Les hommes sont depuis toujours favorisés dans le cinéma québécois. Pas seulement à compétence égale et à talent équivalent. À compétence et à talent moindres. Jamais on ne laisserait une femme, sans formation, pratiquement sans expérience et surtout sans vision de cinéaste, réaliser un film de plusieurs millions au Québec sur la seule foi de sa popularité. Un homme, ça s'est déjà vu.

Cette situation, bien sûr, est symptomatique d'une problématique plus large, évoquée dans l'étude Encore pionnières. Les résultats de cette recherche, menée pendant un an par les sociologues Anna Lupien et Francine Descarries, ont été dévoilés hier par le groupe de pression Réalisatrices équitables, formé en 2007 et voué à la défense des droits des réalisatrices.

On y apprend que la situation peu enviable des réalisatrices québécoises a très peu évolué depuis 20 ans. Vive le progrès.

La part de l'aide gouvernementale allouée aux longs métrages de fiction réalisés par des femmes n'a pratiquement pas augmenté. En 1991-1992, selon Réalisatrices équitables, la SOGIC, ancêtre de la SODEC, a sélectionné des projets de longs métrages de fiction de réalisatrices dans 23 % des cas (pour 28 % de l'enveloppe budgétaire). Entre 2007 et 2010, dans le secteur «privé» de la SODEC (où les sommes allouées sont les plus importantes), les femmes ont réalisé 13,6 % des projets avec 13 % de l'enveloppe budgétaire, alors qu'au secteur «indépendant», leurs projets ont compté pour 25 % des films et 29 % du budget.

Les militantes de Réalisatrices équitables évoquent un problème systémique. Et elles ont raison. L'inégalité entre hommes et femmes cinéastes est un état de fait. La profession demeure essentiellement masculine, au Québec comme ailleurs. L'accès à la profession reste d'ailleurs particulièrement problématique: les réalisatrices, pourtant aussi nombreuses que les hommes sur les bancs d'école, constatent que les producteurs et les distributeurs, de plus en plus influents, leur font rarement confiance avec un premier projet.

Les rares femmes qui ont l'occasion de réaliser un film de fiction s'estiment mal soutenues à long terme, constatent les chercheurs. Celles qui réalisent un premier film ont trop rarement la chance d'en réaliser un autre.

Cette marginalisation des réalisatrices ne découle pas d'une «volonté consciente d'écarter les femmes de la profession», conclut l'étude, mais d'une certaine indifférence collective face aux problématiques des femmes cinéastes. Une indifférence confortable, pour paraphraser un cliché, à laquelle l'action des Réalisatrices équitables est une réponse essentielle.

Malgré sa pertinence et son à-propos, certaines idées défendues par cette étude, forcément tendancieuse, m'ont laissé perplexe. Ce n'est pas tant le discours parfois stéréotypé qui m'a déplu. Une étude peut être engagée, comme un film est engagé. Celle-ci est résolument féministe, et cela va de soi.

Mais lorsque les auteures laissent entendre, à titre d'exemple, que c'est parce qu'ils craignent de perdre un privilège réservé à une classe «dominante» que les hommes s'opposent à des quotas spécifiques de représentation des femmes dans la profession, je trouve que l'on verse à la fois dans la mauvaise foi et dans le discours simpliste, réducteur et condescendant.

Il y a deux ans, les Réalisatrices équitables ont proposé des «mesures incitatives et correctives» à la ministre de la Culture du Québec, Christine St-Pierre. Dans l'étude dévoilée hier, elles remettent ça, notamment en proposant un principe de «mixité égalitaire», de manière à ce que les subventions soient attribuées à des oeuvres réalisées par des représentants des deux sexes, dont aucun ne serait représenté à plus de 60 % ou à moins de 40 %. C'est une pratique existante entre autres dans le cinéma suédois.

Tout en reconnaissant que les mesures de «discrimination positive» sont parfois nécessaires dans notre société tout sauf égalitaire, je ne crois pas que l'instauration de tels quotas soit souhaitable au Québec. Entre autres parce que je ne peux m'empêcher d'y voir une certaine forme de paternalisme insidieux. Et parce que, la réalisation d'un long métrage de fiction étant véritablement un luxe, tous les cinéastes, hommes et femmes confondus, devraient être sélectionnés au mérite.

Permettre à une femme de faire un film sur la seule base de son sexe n'est pas très différent, à mon sens, que de laisser un homme réaliser un long métrage parce qu'il est une vedette populaire.

Il faut dénoncer la marginalisation des réalisatrices, informer la population de cette inégalité qui perdure, sensibiliser les producteurs et distributeurs au peu de place réservé aux femmes dans notre cinématographie. Il faut proposer, comme le font les Réalisatrices équitables, d'autres mesures concrètes aux organismes subventionnaires afin de tenter d'endiguer cette problématique.

Mais il faut aussi encourager les femmes à faire des films parce qu'elles ont le talent, la vision, le savoir-faire d'une Julie Hivon ou d'une Sophie Deraspe. Pas parce que ce sont des femmes.