L'Iran, on le sait, est le royaume des ayatollahs. Dernièrement, ces ayatollahs ont décidé, pour le plus grand malheur des cinéastes iraniens, de se mêler de cinéma. Ce sont les ayatollahs qui ont condamné le cinéaste Jafar Panahi à six ans de prison et à un interdit de tourner pendant 20 ans.

Ce sont les mêmes ayatollahs qui obligent Asghar Farhadi, gagnant de l'Ours d'or de Berlin cette année, à voiler ses actrices même dans les scènes qui se passent à l'intérieur des maisons.

«Un jour, m'a dit Asghar Farhadi à Berlin, par souci de réalisme et d'authenticité, je vais filmer mes actrices sans voile dans les scènes d'intérieur. En attendant, si je veux que mes films soient vus, je n'ai pas le choix. Elles doivent porter le voile.»

Remplacez le mot voile par le mot cigarette et vous n'êtes plus en Iran. Vous êtes au Québec ou mieux encore, dans une sorte d'Iran du tabac où les ayatollahs sont des chercheurs universitaires de l'UQAM qui veulent notre bien, mais certainement pas celui du cinéma québécois. Cette semaine, ces chercheurs, de concert avec le Conseil québécois du tabac, ont voulu punir le cinéaste Xavier Dolan pour son usage abusif de la cigarette et de ses volutes bleutées dans Les amours imaginaires. Ils lui ont donc accordé le prix Cendrier, autant dire le prix de la honte et du désaveu public.

Il leur importe peu que Xavier Dolan soit le cinéaste le plus précoce et le plus doué de sa génération, que l'esthétisme enfumé de son film fasse partie d'une démarche réfléchie, qu'elle soit le reflet d'un certain milieu branché que le cinéaste essaie de rendre authentique et crédible ou qu'elle soit tout simplement l'expression de sa liberté de créateur. À leurs yeux, Dolan n'est pas tant un artiste libre qu'un bon petit soldat du système qui doit donner le bon exemple à la belle jeunesse québécoise. Aussi devra-t-il écrire à l'avenir des scénarios où les personnages ne fument jamais, mais où ils boivent du lait à tous les changements de séquence.

Pas très loin derrière Les amours imaginaires, les films Cabotins, André Mathieu, l'enfant prodige et Piché - Entre ciel et terre ont reçu, eux aussi, blâmes et tapes sur leurs doigts jaunes de nicotine. Pour bien leur enfoncer le cendrier de la honte dans la gorge, on a même calculé à la seconde près la cadence à laquelle les personnages fument dans chaque scène. Pardonnez mon impertinence, mais les chercheurs de l'UQAM n'ont-ils rien de mieux à faire que ce gossage de poils de grenouille, comme dirait un célèbre ex-premier ministre?

Qu'on ne s'y trompe: je ne crois pas que la cigarette est bonne pour la santé ni que fumer est une noble habitude. C'est une terrible dépendance dont je cherche à me libérer depuis longtemps et que je suis parvenue à mater par moments avant de rechuter, ce qui m'a-t-on dit, fait partie du processus d'émancipation. Il n'en demeure pas moins que lorsque je vois à l'écran André Mathieu réduit à l'état de loque humaine allumer une cigarette, il ne me donne pas envie de fumer. Seulement de le consoler. Lorsque le commandant Piché prend une pause cigarette après avoir sauvé 300 vies et un avion de l'écrasement, je ne pense pas à fumer. Je pense seulement que je voudrais toujours avoir un pilote comme lui quand je prends l'avion.

Jusqu'à preuve du contraire, le cinéma n'a pas été inventé pour nous donner le bon exemple ni nous dicter comment vivre notre vie. Le cinéma a été inventé pour rendre compte avec vérité du monde et de l'humanité. Et quand l'humanité fume, parce qu'elle est le produit d'une époque, d'un milieu social ou parce qu'elle va mal, le cinéma n'a pas le choix de le montrer. À moins évidemment de vivre en Iran où, en passant, fumer dans les films est encore permis.