Si le sacre d'Incendies de Denis Villeneuve, le film-événement de 2010, gagnant de huit prix Génie jeudi, semble évident demain, tout n'est pas joué à la 13e Soirée des Jutra. La dernière année du cinéma québécois s'est révélée un excellent cru, et les différents candidats sont à l'avenant. Survol des principales catégories.

Meilleur film

10 1/2 de Podz (Daniel Grou) > Un film dur et réaliste sur la rage d'un enfant (Robert Naylor) hypothéqué par les abus répétés de parents démunis, que prend en charge un éducateur spécialisé dévoué (Claude Legault). Une oeuvre brute, qui trouve son équilibre dans la tension, grâce à une mise en scène percutante. Coeurs sensibles d'abstenir.

Les amours imaginaires de Xavier Dolan > Un instantané pop au charme suranné, un exercice de style sur le thème de la déception amoureuse, révélant une étonnante maturité. Ce récit tragicomique de deux amis, Francis (Xavier Dolan) et Marie (Monia Chokri), épris du même garçon, Nicolas (Niels Schneider), confirme le talent remarquable de Xavier Dolan pour le dialogue. Amitiés bousculées, amours contrites, humour fin, esthétique soignée, réalisation fluide et ingénieuse. Une réussite.

Curling de Denis Côté > Emmanuel Bilodeau incarne un père à la dérive qui tente maladivement de protéger sa fille de 12 ans (Philomène Bilodeau), coupée du monde, contre les aléas du quotidien. Une tranche de vie illustrée sobrement, avec beaucoup de savoir-faire. Un film d'épure, sans affect, sobre et minimaliste, sacré meilleur long métrage québécois de 2010 par l'Association des critiques de cinéma du Québec.

Incendies de Denis villeneuve > De l'oeuvre théâtrale dense de Wajdi Mouawad, Denis Villeneuve a tiré un film magnifié par la charge poétique des images, d'une âpreté de circonstance. Chaque plan est étudié, parfaitement intégré, cohérent, sans être esthétisant. Un réquisitoire puissant contre la guerre, marqué par la présence lumineuse de Lubna Azabal, porté par une scène d'anthologie dans le désert: morceau de bravoure, fulgurant, poignant, bouleversant, déchirant de douleur. Un grand film.

Les signes vitaux de Sophie Deraspe > La cinéaste de Rechercher Victor Pellerin propose un deuxième long métrage sensible et subtil, fait de suggestions et de non-dits, de petites touches d'humanité et d'apartés, de bribes de conversations et d'images évocatrices. Admirablement filmé, fort bien joué, Les signes vitaux suscite des questionnements éthiques sur le suicide assisté, la fin de vie, la mort, avec des éclats d'humour absurde sur un canevas grave et mélancolique.

Meilleure réalisation

Denis Côté, Curling > Cinéaste cinéphile particulièrement attentif au détail, Denis Côté propose avec Curling son film le plus abouti. Une réalisation sans esbroufe, directe, singulière, de laquelle se détachent, sur le plan formel, des plans larges fixes saisissants, magnifiquement cadrés.

Xavier Dolan, Les amours imaginaires > Avec Les amours imaginaires, qui témoigne du raffinement de sa grammaire cinématographique, Xavier Dolan creuse davantage le sillon d'une signature originale. Ce deuxième film est plus fluide et cohérent, sans rupture de ton, et porte une griffe plus affirmée que celle de J'ai tué ma mère.

Kim Nguyen, La cité > La cité séduit dans le contraste de ses couleurs éclatantes, pierres de sable doré sur fond azur. Dans le traitement de l'image et la direction photo. Dans l'attention portée à la réalisation, tellement soignée qu'elle semble par moments envahissante, avec une profusion d'effets ne masquant pas, au final, les flottements du récit.

Podz (Daniel Grou), 10 1/2 > En seulement deux films, sortis la même année (Les 7 jours du talion et 10 1/2), Podz a su imposer au cinéma une signature aussi forte que celle qui l'a rendu célèbre à la télévision. La mise en scène de 10 1/2, sombre et nerveuse, sobre et percutante, est à l'image d'un cinéaste en pleine possession de ses moyens.

Denis Villeneuve, Incendies> L'adaptation d'Incendies au cinéma était un projet casse-gueule. Denis Villeneuve a fait preuve dans sa mise en scène d'une maîtrise remarquable. L'utilisation harmonieuse des ellipses est particulièrement réussie, modelant ingénieusement le récit entre le passé et le présent. La confirmation, s'il en fallait, d'un talent hors du commun.

Meilleure actrice

Lubna Azabal, Incendies > Lubna Azabal module superbement ses expressions, son corps, son visage (éteint après la révélation-choc du récit d'Incendies) pour partager les secrets douloureux de Nawal, l'insoumise. Une grande performance d'actrice.

Suzanne Clément, Tromper le silence > La fragilité de Viviane, une photographe qui rencontre un écorché vif, est exploitée avec beaucoup de finesse par Suzanne Clément dans Tromper le silence, film suave, fluide et intimiste de Julie Hivon.

Melissa Désormeaux-Poulin, Incendies > Mélissa Désormeaux-Poulin est très juste, d'une grande sensibilité, dans le rôle de Jeanne Marwan, qui apprend dans Incendies, à la lecture du testament de sa mère, que son père est toujours vivant et qu'elle a un frère aîné.

Evelyne Rompré, Deux fois une femme > Evelyne Rompré, lumineuse, est une véritable révélation dans Deux fois une femme, film poétique, pétri d'inquiétude, de François Delisle, qui raconte la fuite physique et psychologique d'une femme terrorisée par un mari violent, tentant de refaire sa vie avec son fils adolescent.

Guylaine Tremblay, Trois temps après la mort d'Anna > Magnifique de retenue devant la caméra de Catherine Martin, Guylaine Tremblay est particulièrement émouvante dans la peau d'une mère en détresse, qui vient de perdre sa fille.

Meilleur acteur

Jay Baruchel, The Trotsky> L'acteur anglo-montréalais Jay Baruchel, brillant et spirituel, est l'interprète idéal pour incarner Léon Bronstein, un élève qui se prend pour Trotsky et fomente une rébellion gauchiste dans la charmante comédie adolescente de Jacob Tierney.

Emmanuel Bilodeau, Curling > Emmanuel Bilodeau, lauréat du prix d'interprétation au dernier Festival de Locarno, est au sommet de son art en homme taciturne qui travaille dans une salle de bowling de campagne et fait des ménages dans un motel pendant que sa fille de 12 ans, Julyvonne, coupée du monde, l'attend à la maison.

Jacques Godin, La dernière fugue> Ayant remplacé au pied levé un acteur européen dans La dernière fugue de Léa Pool (d'après le roman Une belle mort de Gil Courtemanche), Jacques Godin offre une performance tout en nuances en septuagénaire atteint de la maladie de Parkinson, qui réclame le droit de mourir.

Claude Legault, 10 1/2 > Claude Legault, qui joue à merveille l'émotion contenue, est d'une grande justesse - comme toujours - dans le rôle, difficile, d'un éducateur spécialisé aux prises avec des cas graves de délinquance.

François Papineau, Route 132> François Papineau est particulièrement remarquable dans le rôle d'un père en déroute après la mort de son fils de 5 ans, qui s'évade dans un road-trip avec un ami d'enfance (Alexis Martin). Le poids du deuil se lit sur son visage, avec subtilité et finesse. Une grande performance.