Parmi les primeurs prenant l'affiche sur grand écran aujourd'hui à Montréal, on remarque un titre attendu depuis plus de deux ans. I Love You Phillip Morris, une comédie décapante écrite et réalisée par Glenn Ficarra et John Requa (les auteurs du scénario de Bad Santa), fut d'abord présentée en primeur mondiale au Festival de Sundance en 2009, puis, quelques mois plus tard, à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. 

Étant donné la notoriété de ses deux acteurs principaux, Jim Carrey et Ewan McGregor, plusieurs s'attendaient à ce que le film n'éprouve aucune difficulté à se faire valoir sur les écrans nord-américains. Mais voilà. Aux écueils d'ordre financier (des démêlés entre le producteur français EuropaCorp et les distributeurs américains impliqués dans le dossier) se sont aussi ajoutées des préoccupations d'une autre nature.

Dans une scène présentée très tôt dans le film (ceux qui préféreraient ne pas en connaître les détails feraient mieux de passer tout de suite au paragraphe suivant), le personnage qu'interprète Jim Carrey se livre à de vigoureux ébats sexuels, avec à peu près la même énergie qu'un type sortant de prison. Cet homme sans histoires, bien marié, bon père de famille et chrétien dévoué, a décidé de se «lâcher lousse» en réalisant ses fantasmes avec une dévotion, disons, très sincère. La séquence se fige juste au moment où l'on aperçoit une partie du visage de SON partenaire. «En passant, je suis gai», révèle-t-il.

Il n'en fallait pas plus pour que certains observateurs dénoncent la frilosité des distributeurs américains en faisant valoir que le récit d'I Love You Phillip Morris s'appuie sur une relation homosexuelle vécue dans un contexte un peu plus subversif. Cette conclusion est peut-être un peu simpliste, mais il est clair que Hollywood semble faire preuve d'extrême prudence dès qu'il est question de la représentation de l'homosexualité à l'écran. Surtout quand on s'éloigne du créneau de la comédie pure et simple.

D'aucuns expliquent d'ailleurs la défaite inattendue de Brokeback Mountain aux Oscars en 2006 (Crash a alors été sacré meilleur film) par un effet de ressac issu de la frange plus conservatrice de l'Académie.

«Contrairement à l'impression générale, Hollywood est un endroit extrêmement conservateur qui ne fait que prétendre être progressiste», déclarait récemment l'acteur Rupert Everett au cours d'une interview accordée à la BBC. Dans laquelle il disait en outre regretter sa sortie du placard.

De vieux réflexes

La cause de la reconnaissance des gais dans la société a fait des pas de géant au cours des dernières décennies, c'est entendu. Mais à entendre la désillusion de quelques-uns des acteurs ouvertement homosexuels face à Hollywood, formulée au cours de quelques récentes sorties, force est de constater que les vieux réflexes semblent bien difficiles à enrayer.

«Il y a encore beaucoup d'homophobie dans notre culture, déclarait de son côté Richard Chamberlain au magazine The Advocate. Le travail étant rare pour la plupart des acteurs, il est devenu périlleux pour quelqu'un désirant exercer ce métier de révéler son homosexualité, particulièrement si son emploi est celui d'un leading man. Malgré toutes les avancées, il est encore dangereux pour un acteur de le faire.»

Neil Patrick Harris, qui joue un hétéro dans sa sitcom How I Met Your Mother, pourrait sans doute contredire Everett et Chamberlain là-dessus, mais cette discussion comporte aussi un autre aspect, tout aussi troublant. Les acteurs ayant publiquement révélé leur orientation homosexuelle ont semble-t-il peu accès aux personnages gais au cinéma, ceux-ci étant maintenant campés par des interprètes... hétéros.

Alors qu'il y a 20 ans, le regretté Cyril Collard a dû se résoudre à interpréter lui-même le personnage bisexuel de son (très beau) film Les nuits fauves parce qu'aucun acteur de 30 ans «bien en vue» ne voulait s'y frotter, il est aujourd'hui devenu très «tendance» de jouer l'homosexuel au cinéma.

«Je salue la performance de Colin Firth dans A Single Man, précise Rupert Everett. Colin y était remarquable. Mais cette tendance a un effet suffoquant sur les acteurs gais. Maintenant, plusieurs comédiens hétéros recherchent activement des rôles d'homosexuels parce que ça leur permet d'explorer une facette différente de leur jeu. C'est bien. Mais ça veut dire que l'acteur gai à qui l'on confiait habituellement les rôles de gais - comme moi - en est réduit à jouer les folles.»

Performances reconnues

Un coup d'oeil sur la liste des acteurs sélectionnés aux Oscars au cours des dernières années tend à lui donner raison. Les performances de Tom Hanks (Philadelphia), Javier Bardem (Before Night Falls), Philip Seymour Hoffman (Capote), Heath Ledger et Jake Gyllenhaal (Brokeback Mountain), Sean Penn (Milk), Colin Firth (A Single Man), Annette Bening et Julianne Moore (The Kids Are All Right) ont toutes été reconnues et saluées. Il n'y a guère plus que sir Ian McKellen, qui a publiquement révélé son homosexualité il y a longtemps, qui peut se vanter d'avoir été cité aux Oscars pour un rôle (Gods and Monsters) dont le personnage partageait la même orientation sexuelle que la sienne.

Rupert Everett n'a pas tort. Cela dit, le domaine dans lequel il évolue relève le plus souvent, pour le meilleur ou pour le pire, de l'arbitraire. Le travail d'un acteur étant de rendre crédible et juste l'émotion que ressent le personnage qu'il interprète, son orientation personnelle a finalement peu à y voir. L'histoire du cinéma est d'ailleurs jalonnée de films mettant en vedette des acteurs partageant une complicité intime à l'écran qui se détestaient pourtant hors du plateau.

Personne d'autre que Jim Carrey ne peut jouer du Jim Carrey. Gai ou pas. Mais il est quand même triste de constater qu'à notre époque, les acteurs doivent encore se résoudre à faire des Rock Hudson d'eux-mêmes et à retourner dans leur placard. Rupert Everett et Richard Chamberlain ont tout à fait raison de s'en émouvoir.