Il y aura deux films québécois au Festival de Cannes le mois prochain. La bonne nouvelle a été confirmée mardi. Tel que prévu, La nuit, elles dansent, documentaire d'Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault, sera présenté à la Quinzaine des réalisateurs, en séance spéciale. Ce n'est rien, de Nicolas Roy, concourra de son côté en compétition officielle pour la Palme d'or du court métrage.

Dans le milieu du cinéma québécois, on se félicite évidemment de ces sélections prestigieuses, d'autant plus que le court métrage et le documentaire québécois sont «les éternels mal-aimés du cinéma», comme me le rappelait cette semaine un cinéaste.

Il reste que plusieurs se demandent pourquoi aucun long métrage de fiction québécois n'a été sélectionné dans l'une ou l'autre des différentes sections du Festival (compétition officielle, Un certain regard, Semaine de la critique, Quinzaine des réalisateurs).

Un contingent québécois moins important à Cannes témoigne-t-il d'une période moins faste dans notre cinématographie? Faut-il voir dans la sélection cannoise un baromètre de l'état de santé de notre cinéma? Pas nécessairement.

Il y a des années où les candidats de choix pullulent à l'échelle internationale (celle-ci, par exemple), et d'autres où la voie est plus libre pour des cinéastes moins connus (l'an dernier). Des années où le bouquet de films québécois est plus relevé et d'autres où il l'est moins.

Les effets de mode (le cinéma de genre asiatique, dans la dernière décennie), l'équilibre à trouver entre ce qui intéresse les médias de masse et les cinéphiles, entre la présence de stars de la cinéphilie et du show-business, les relations à préserver avec les habitués du festival, etc., ont aussi une influence sur le choix d'une programmation. Sans oublier les inclinations et goûts des différents sélectionneurs et directeurs artistiques.

Un an plus tard, connaissant sa trajectoire, je ne serais pas surpris d'apprendre que certains décideurs de Cannes ont regretté de ne pas avoir retenu Incendies dans une des sections du Festival, laissant ce beau morceau à Venise. D'autant plus que Denis Villeneuve a été sélectionné plusieurs fois à Cannes depuis le début de sa carrière.

Il est vrai que le cinéma québécois n'a pas particulièrement la cote sur la Croisette par les temps qui courent. Même si de nouvelles voix s'imposent (celle de Xavier Dolan, notamment), la présence de notre cinéma y reste marginale.

Il fut pourtant une époque où le cinéma québécois occupait une place enviable à Cannes. Dans les années 70, chaque présentation ou presque comptait un film québécois en compétition, de Gilles Carles, Michel Brault ou encore Jean-Pierre Lefebvre, jadis un abonné de la Quinzaine des réalisateurs.

Depuis 30 ans, seuls Jean-Claude Lauzon et Denys Arcand ont pu profiter de la tribune exceptionnelle qu'offre la compétition officielle (la dernière fois remontant à 2003, pour Les invasions barbares). Et la présence québécoise dans les sections parallèles s'est faite plus discrète, notamment à la Quinzaine, où le cinéma québécois avait pu traditionnellement se mettre en valeur.

Il n'y a bien sûr pas d'explication simple à ce phénomène. Les sélections à Cannes relèvent des jeux de l'amour et du hasard, comme dirait l'autre. L'ancien directeur de la Quinzaine des réalisateurs, Olivier Père, désormais à la tête du Festival de Locarno, avait un intérêt marqué pour le cinéma québécois. Il y a deux ans, il a sélectionné trois longs métrages de nos cinéastes les plus en vue: Carcasses de Denis Côté, Polytechnique de Denis Villeneuve et J'ai tué ma mère, de Xavier Dolan.

La Quinzaine a depuis l'an dernier un nouveau directeur artistique, Frédéric Boyer, avec bien entendu sa propre vision et ses propres intérêts. Il se dit ouvert à tous les styles de cinéma («sauf Bollywood»). Le magazine spécialisé Daily Variety a cependant fait remarquer, cette semaine, que la plus récente sélection de la Quinzaine favorisait «lourdement» les films européens (au nombre de 15 sur 21).

Dans les coulisses, certains dans l'industrie du cinéma québécois font le même constat. Et s'inquiètent que notre cinéma souffre de cet a priori favorable au cinéma européen. «Ce que je trouve inquiétant, et il faut que cela soit mentionné, c'est le taux anormalement élevé de films de France et de Belgique retenus à la Quinzaine, qui équivaut aux trois quarts de la sélection», s'indigne Louis Dussault, de K-Films Amérique, distributeur de Nuit#1 d'Anne Émond, qui aurait raté de peu une sélection dans cette section.

«Nous avons pu observer une volonté de la société des réalisateurs français de franciser la Quinzaine depuis quelques années, m'a confié un autre artisan. Nous sommes loin de la vision des belles années de Pierre-Henri Deleau. Cette année, sur les 21 films sélectionnés, il y a 5 films français et 7 films coproduits par la France, ce qui fait 12 films sur 21. Si un cinéaste québécois veut voir son film à la Quinzaine, il devrait se trouver un coproducteur français. Ses chances seront plus grandes!»

Ce dernier estime que la Quinzaine a perdu de son lustre et de son importance comme solution de remplacement à la compétition, un rôle que jouerait désormais Un certain regard, partie intégrante de la sélection officielle. Un certain regard, où il n'y a malheureusement pas davantage de films québécois qu'à la Quinzaine cette année...