Chaque fois que je pense à feu Oussama ben Laden, je pense à un film. Pas celui que Kathryn Bigelow, Madame Démineur, s'apprête à tourner ou à ne pas tourner. Je pense plutôt à Wag the Dog (Des hommes d'influence), un film de Barry Levinson, scénario de David Mamet, lancé en 1997 sous l'administration Clinton et mettant en vedette un président américain pris les culottes baissées dans un scandale sexuel.

Pour redorer le blason du président et lui éviter une cuisante défaite électorale, la Maison-Blanche engage un super conseiller politique incarné par Robert De Niro, lequel embauche un gros producteur de Hollywood, interprété par Dustin Hoffman. Le mandat de ce dernier est clair: distraire l'électorat américain en produisant une fausse guerre en Albanie dont les images seront diffusées tous les soirs dans les bulletins d'information et donneront l'impression que le président est en contrôle de la situation. Les paysages et les ruines de la guerre fictive ont été créés de toutes pièces par un directeur artistique, les déplacements de foule chorégraphiés par le réalisateur et les paysans albanais sont des figurants membres de l'équivalent américain de l'Union des artistes. Bref, tout est faux, mais tellement bien fait que le bon peuple n'y voit que du feu.

Autant dire que ce film noir pétri de cynisme m'a non seulement marquée, il a aussi détruit les derniers vestiges de ma crédulité et de ma foi à l'égard de la politique et des politiciens. C'est pourquoi aujourd'hui, quand je vois défiler à la télé les images du repaire où se terrait ben Laden avait d'être abattu, quand j'écoute ses voisins dire qu'ils n'étaient pas au courant de sa présence dans le quartier, quand la caméra m'entraîne dans le fouillis sanglant du bunker en miettes, la moitié droite de mon cerveau croit à ce qu'il voit, la moitié gauche en doute furieusement. Pas au point d'être convaincue que l'assassinat d'Oussama est une pure mise en scène hollywoodienne avec Kathryn Bigelow à la réalisation et André-Line Beauparlant d'Incendies à la direction artistique. Mais assez en tout cas pour ne pas ajouter ma voix à ceux qui réclament la diffusion des photos d'Oussama mort. À quoi bon? Les avancées technologiques et virtuelles sont telles qu'elles ont pulvérisé le principe même de l'authenticité photographique. L'adage de Godard - ce n'est pas une image juste, mais juste une image - n'a jamais sonné aussi vrai. On en a eu le meilleur exemple en début de semaine alors qu'une photo de ben Laden, le visage semblable à une tarte à la tomate déconstruite, a été lancée sur le web. C'était évidemment un faux.

Je comprends que la diffusion des photos du mort est d'intérêt public et politique. Que les Américains doivent rendre des comptes, fournir des preuves qu'ils ont bel et bien tué ben Laden et que ce dernier était bel et bien le modèle original et non pas un figurant dans une photo. Mais pourquoi le gouvernement américain se priverait-il de Photoshop et de toutes ses hallucinantes variations? Et nous, comment pourrons-nous avoir l'absolue certitude que la photo du mort diffusée sur la place publique est bien la bonne et la vraie?

Dans une entrevue à l'émission 60 Minutes, disponible sur le web, le président Obama plaide que diffuser ces photos serait faire de la basse propagande, ce qui n'est pas le genre de la maison (blanche). Il affirme qu'il a vu les photos du mort et que c'est sans l'ombre d'un doute Oussama ben Laden. Ce que le président nous demande, c'est de le croire sur parole comme le font les curés, les ayatollahs, les évangélistes et tous ceux qui, faute de preuves et de pièces à conviction, exigent de nous une foi aveugle. Je veux bien, mais si Oussama est mort, est-ce que ça veut dire que Dieu existe? Si c'est le cas, j'exige la photo.