L'Est est-il un frein ou peut-il devenir une force? Est-ce que l'espérance individuelle à l'Est arrive un jour à l'emporter sur la fatalité collective? Ou, au contraire, comme le plaidait Michel Tremblay, on ne peut pas plus sortir la fille de l'Est que l'Est de la fille?

Autant de questions existentielles que pose la cinéaste Carole Laganière dans le documentaire L'Est pour toujours présenté au Cinéma Parallèle. Mais contre toute attente, la réponse, je ne l'ai pas trouvée dans son film mais dans celui de Jo Légaré, la présidente des Salons funéraires Alfred Dallaire, qui signe Que nous sommes belles, un docu tourné dans l'Ouest qui sera diffusé à Radio-Canada le 20 mai, à 21h.

Deux femmes, deux films, deux mondes, l'est et l'ouest de Montréal, et des deux côtés, une poignée de jeunes que les deux cinéastes ont filmés au fil des années. En 2003, les jeunes du film de Laganière étaient des enfants encore enjoués, qui envahissaient les ruelles de l'Est en toute insouciance et ne semblaient pas affectés outre mesure par les familles dysfonctionnelles dont ils étaient issus. Sept ans plus tard, ils ont grandi et se retrouvent inquiets et anxieux face à un avenir bouché qui les condamne à l'aide sociale et à un sentiment débilitant de rejet.

C'est le cas de Vanessa Dumont, petit oiseau frêle qui a l'air d'avoir 12 ans alors qu'elle en a 20. Vanessa ne demande rien d'autre qu'un petit job de caissière, mais à cause de sa petite taille ou de sa fébrilité, toutes les portes lui demeurent fermées. Même le plaidoyer qu'elle a lancé cette semaine lors de son passage à l'émission de Christiane Charette est resté sans appel. Certains jeunes de l'Est ont plus de chance. C'est le cas de Maxime Desjardins-Tremblay, la vedette du film Le ring, qui a obtenu ensuite un rôle dans Virginie. Reste que depuis la fin de Virginie, les rôles se font de plus en plus rares et Maxime, qui n'a pas terminé son secondaire, se demande s'il aura les moyens de continuer à être comédien.

Autant dire que dans l'Ouest de Jo Légaré, c'est une tout autre histoire. Contrairement à Laganière, Jo Légaré a braqué sa caméra uniquement sur des filles, dont sa propre fille Julia, et une poignée de ses amies, toutes élèves au collège privé des Marcellines à Westmount. À 12 ans, Julia, qui est devenue ingénieure, déclare qu'elle veut être archéologue sinon présidente de la CIBC où elle vient d'ouvrir un compte. Déjà pour elle, la vie est sans barrières ni limites. Idem pour ses amies, qui comme elle, ont fréquenté ce magnifique collège mené par une religieuse inspirante, la soeur Louise Bontà. Non seulement ces petites filles privilégiées ont-elles étudié dans le calme et la beauté auprès de profs qui étaient tantôt des réfugiés politiques argentins, des mathématiciens italiens ou des philosophes allemands, mais elles ont aussi voyagé. Italie, Brésil, Russie, Nicaragua, rien n'était trop beau ni trop loin pour les petites filles choyées des Marcellines.

La suite de l'histoire est aussi prévisible dans l'Ouest que dans l'Est. Les filles de l'Ouest ont des carrières, des enfants et de belles maisons pendant que dans l'Est, on tourne en rond en n'osant rêver à rien sinon à un nouveau char, une jobine de caissière ou à un voyage à Las Vegas.

Deux films, deux mondes et, en fin de compte, le même déterminisme qui condamne, pratiquement dès la naissance, à la liberté ou à la dépendance. Heureusement, au milieu de cet implacable apartheid social, il y a Nadine. Née dans l'Est, famille sur l'aide sociale, parents séparés, Nadine aurait dû en principe virer tout croche et figurer dans le film de Carole Laganière. Mais voilà, elle aimait les études et a été admise aux Marcellines grâce à un programme pour enfants défavorisés. Son goût des études, combiné à son arrivée aux Marcellines, a changé sa vie à jamais. Aujourd'hui, Nadine a une carrière de conseillère financière, quatre enfants et une belle maison. Alors oui, parfois l'espérance individuelle l'emporte sur la fatalité collective. Malheureusement, cela n'arrive pas assez souvent.