Elle s'appelle Aïda. Elle est iranienne. À peine 20 ans. Belle comme la nuit. Les yeux marron pétillants d'intelligence. Un sourire comme la lumière.

Elle est cinéaste. À Cannes avec un très joli court métrage sous le bras. Je l'ai rencontrée par hasard, dans la trop longue file d'attente du dernier Nanni Moretti. Resquilleur aux yeux piteux, implorant l'indulgence d'une âme charitable, au milieu de la queue. «Je peux faire comme si j'étais avec vous?», lui ai-je demandé. Elle a souri. «Bien sûr.»

Elle est venue avec quelques amis, étudiants en cinéma, entre autres auprès d'Abbas Kiarostami (Palme d'or pour Le goût de la cerise en 1997). Cinéphile avertie, admiratrice du travail de Michael Haneke et de Xavier Dolan, dont elle envie l'audace, Aïda parvient à voir des films étrangers sous le manteau à Téhéran, en DVD. «Tous les films présentés en salle sont censurés», me dit-elle.

«Vous connaissez Kiarostami?», qu'elle m'a demandé. Ben quin. Je lui ai raconté pour Montréal: les liens entretenus avec l'Iran grâce au Festival des films du monde, dont Kiarostami a dirigé le jury et où Jafar Panahi a fait ses dernières déclarations publiques à l'étranger, dans la foulée de la Révolution verte.

Elle m'a souri des yeux. Elle a parlé en farsi avec ses amis, puis m'a présenté quelqu'un qui les accompagne. Une personne très proche de Panahi. «Il ne faut pas ébruiter sa présence, m'a-t-elle averti. Personne ou presque ne sait qu'elle est ici.»

Le nouveau film de Jafar Panahi, acheminé en catimini à Cannes il y a 10 jours sur une clé USB, doit être présenté en séance spéciale vendredi. Il a été ajouté in extremis à la sélection officielle par le délégué général du Festival, Thierry Frémaux. Un geste artistique, certes, mais aussi un geste politique, de solidarité.

«Jafar va bien, me dit son ami. Pour l'instant, il peut circuler à Téhéran, même s'il ne peut pas quitter le pays. Son moral est bon. Il n'a certainement pas baissé les bras.»

Jafar Panahi est assigné à résidence en Iran en attente de l'appel de sa condamnation à six ans de prison pour avoir participé à des rassemblements et pour propagande contre le régime. Il est sous le coup d'une interdiction de réaliser et de scénariser des films pour les 20 prochaines années.

Un pays comme une prison, que le cinéaste du Cercle et du Ballon blanc (Caméra d'or en 1995) refuse courageusement d'abandonner, malgré les menaces qui pèsent contre lui. L'interdiction ne l'a d'ailleurs pas empêché de créer, en clandestinité et en collaboration avec Mojtaba Mirtahmasb, In Film Nist (Ceci n'est pas un film).

«C'est un film sur son quotidien, sur sa vie en captivité, en quelque sorte, me dit Aïda, qui est l'une des rares à l'avoir vu. Il a été tourné chez lui, sans trop de moyens. Il parle de sa situation. C'est minimaliste, mais très intéressant.»

L'an dernier à pareille date, emprisonné depuis deux mois, Jafar Panahi, 50 ans, avait entamé une grève de la faim. À Cannes, où il devait être membre du jury de la compétition, un siège avait été laissé vide de manière symbolique. Jeudi, la Quinzaine des réalisateurs - qui présente Offside (2005) en séance spéciale - lui a remis in absentia le Carosse d'or, qui a récompensé depuis 10 ans Clint Eastwood, Nanni Moretti, David Cronenberg, Jim Jarmusch et autres Agnès Varda.

Ce cinéaste militant, devenu un symbole de résistance, craint-il les représailles des autorités après la projection à Cannes de son nouveau film? «Le film s'appelle Ceci n'est pas un film, rappelle Aïda. Panahi dit qu'il n'en est que l'acteur, pas le réalisateur, et qu'il ne fait pas l'objet d'une interdiction de jouer dans un film. C'est un homme intelligent et astucieux.»

Un acte de résistance

Un confrère de Panahi, le cinéaste Mohammad Rasoulof, a également été condamné à 6 ans de prison et à 20 ans d'interdiction de tourner pour avoir participé au soulèvement démocratique de juin 2009 en Iran. Détenu pour des motifs arbitraires, il a aussi interjeté appel de cette décision et a fait parvenir clandestinement au Festival son dernier film, Au revoir, sélectionné à la dernière minute dans la section Un certain regard.

Ce long métrage de fiction, présenté ce week-end en sélection officielle, est une charge en règle contre les exactions du régime iranien. C'est un film politique courageux, mettant en scène une jeune avocate, Noura, dont on a retiré le droit de pratique, mariée à un journaliste recherché pour ses écrits subversifs, prête à tout pour quitter l'Iran.

Dans cette société moderne où les femmes sont traitées comme des citoyens de seconde zone, «ceux qui travaillent pour les droits de l'homme ont des ennuis», dit une amie à Noura, en lui annonçant qu'une de leurs proches vient d'être exécutée. «Quand on se sent étranger dans son propre pays, mieux vaut être étranger à l'étranger», dit-elle à son mari, plus hésitant à fuir.

Au revoir est un film fort et révoltant, qui dépeint avec éloquence et subtilité le climat de terreur et de suspicion perpétuelle dans lequel vivent les opposants au régime iranien. Un régime répressif, obscurantiste, où l'on se fait traîner au poste de police parce que sa télévision est branchée sur un satellite et où, à tout moment, sans avertissement, son logement peut être fouillé et ses affaires saisies.

Le long métrage de Mohammad Rasoulof, qui dénonce l'absence de liberté, sera certainement interprété comme une provocation par les autorités iraniennes. La semaine dernière, le ministre de la Culture de l'Iran, Mohammad Hosseini, a accusé le Festival de Cannes de s'immiscer dans les affaires politiques de son pays en encourageant les cinéastes qui s'opposent au gouvernement Ahmadinejad.

On félicite au contraire le plus important festival de films au monde, sanctuaire de la liberté d'expression, de permettre à des voix discordantes, que l'on tente d'éteindre, d'être entendues. Le cinéma est parfois un acte de résistance, rappelant le coût de la liberté.