Il y avait Gilles, fin quarantaine, sa femme Bérénice, sa fille Maeva, sa belle-mère Cathy et ses belles-soeurs Julie et Françoise. «Elle est où Françoise?» «J'ai réservé une place pour Françoise.» «Peut-être qu'elle a été bousculée, Françoise, et que du coup, elle est partie...»

Ça a duré un bon cinq minutes. Gilles qui demande à Bérénice où est passée sa soeur, en haussant le ton. Cathy qui cherche sa fille dans la foule à l'extérieur, en criant. Julie qui soupire. Une famille au bord de la crise de nerfs, dans l'étuve d'un chapiteau du boulevard de la Croisette.

Pendant que l'on cherchait désespérément Françoise, ça s'entassait à La Malmaison, quartier général de la Quinzaine des réalisateurs, hier, pour la conférence de presse du dernier film d'André Téchiné, Impardonnables, tiré du roman de Philippe Djian, avec Carole Bouquet, Mélanie Thierry et André Dussolier (absent hier).

«Je pense que ça ne la branche pas tant que ça, Françoise, a dit Julie aux autres. Tu lui aurais dit qu'il y avait Johnny Depp, elle aurait marché sur tout le monde. Peut-être qu'elle est partie surveiller l'escabeau?»

Contrairement à la sélection officielle, dont les conférences de presse sont réservées aux journalistes dûment accrédités, celles de la Quinzaine des réalisateurs sont ouvertes au public. Sauf que dans cette petite tente face à la mer, il n'y a qu'une soixantaine de places. Il a fallu que je joue du coude avec deux ou trois vieilles dames pour y accéder (je blague... à peine).

Gilles et sa belle-famille ont trouvé l'astuce pour s'assurer d'être aux premières loges. Ils ne sont pas allés voir le film avant la conférence de presse. Pas vraiment des cinéphiles. Bérénice traîne un cartable transparent où elle conserve ses photos autographiées et celles qu'elle espère un jour faire signer: Pierce Brosnan, Johnny Hallyday, Antonio Banderas, Uma Thurman, Sophie Marceau et quantité de vedettes de la télé française dont je n'ai jamais entendu parler.

«Carole Bouquet et Mélanie Thierry, elles n'y sont pas? a demandé Julie à sa soeur.

- Ils ont dit qu'elles seraient là dans 10 minutes, lui a répondu Bérénice.

- J'espère. Sinon je me barre.

- Moi aussi!»

Le monsieur au-devant de la salle, avec les cheveux aplatis et les lunettes épaisses au cadre noir, elles se foutaient bien de savoir qui c'était et ce qu'il avait à dire. Téchiné parlait de «réenchanter le cinéma» et de ses débuts comme critique aux Cahiers du cinéma quand ses actrices sont arrivées, en beauté. Les groupies ont bondi d'un seul trait. Tasse-toé le vieux!

Gilles s'est levé, avec son appareil muni d'un objectif digne d'un professionnel, pour les photographier. Il n'était pas le seul. Une quinzaine de minutes plus tard, les chasseurs d'étoiles, soulagés d'entendre Téchiné (pourtant discret) enfin se taire, se ruaient sur les comédiennes. «Carole! Carole! Par ici! Un autographe!»

Bérénice et Julie comptaient revenir en après-midi sous le même chapiteau, pour un film bulgare mettant en vedette Laetitia Casta. Pas pour le film, bien entendu. Françoise, elle, n'est jamais venue. Elle surveillait sans doute son escabeau, devant le Palais des festivals, s'assurant, cinq heures avant leur arrivée, de ne pas rater la montée des marches de Brad et Angelina.

Ennui à Venise

Pas pour encourager Gilles et sa gang, mais ils ont peut-être bien fait de passer leur tour hier. André Téchiné ayant un parcours en dents de scie, Impardonnables tombe malheureusement dans le lot de ses oeuvres plus faibles (comme le précédent La fille du RER). On ne s'étonne guère que cette histoire d'amour entre un auteur de polars (Dussolier) et une agente immobilière (Carole Bouquet) exilés à Venise - plutôt que dans le Pays basque, comme dans le roman - n'ait pas été retenue en compétition.

Le cinéaste des Roseaux sauvages et de Ma saison préférée a livré un film de commande peu inspiré, au jeu particulièrement inégal (les Français sont plutôt bons; les Italiens plutôt mauvais), qui tourne à vide et ne trouve jamais le ton juste. Dommage.

Une invitation, svp

Ceux qui ne chassent pas les autographes chassent les invitations, en rivalisant d'ingéniosité. C'était le délire, hier, pour le très attendu The Tree of Life de Terrence Malick, une somptueuse élégie, mystique et existentielle, opératique et grandiloquente, fluide et magistrale, qui s'annonce comme un candidat sérieux à la Palme d'or.

Devant le Palais, ils étaient plusieurs, munis de pancartes, à espérer obtenir in extremis une invitation à la projection gala du film hier soir. Bien des jeunes sans billet, mais en tenue de soirée, venus exprès pour fouler le tapis rouge en compagnie de «Brangelina».

En me voyant, une jeune femme a déplié une affiche en forme de petit coeur, m'offrant son plus beau sourire, ainsi qu'un câlin et deux becs (c'était écrit en toutes lettres, en anglais) contre une invitation. Je n'en avais pas.

Certains, en revanche, en ont. Croisé en smoking devant la salle Debussy l'autre soir, PPDA en personne, Patrick Poivre d'Arvor, ex-présentateur du téléjournal de TF1, connu pour être célèbre, accompagné par une jeune brunette filiforme. On présume que c'était sa fille. Tout près, de nouveaux riches russes et leurs plus ou moins jeunes épouses se faisaient croquer par un photographe, figeant pour la postérité l'image des méfaits de leur chirurgie esthétique. J'ai pensé, en faisant l'amalgame, aux Guignols de l'info. Sais pas trop pourquoi.