Lars von Trier vient d'inscrire son nom dans l'histoire. Pour une première fois depuis la création du Festival de Cannes, un cinéaste est banni. Réuni en séance extraordinaire hier, le conseil d'administration de la plus prestigieuse manifestation cinématographique du monde a déclaré le réalisateur de Melancholia «persona non grata» à la suite de son dérapage de la veille. En gros, le trublion danois a avoué une «petite» sympathie envers Adolf Hitler. Il s'est aussi déclaré nazi.

Du coup, le Palmé d'or d'il y a 11 ans (Dancer in the Dark) est devenu l'indésirable, le paria d'aujourd'hui. L'agoraphobe notoire fut prié de retourner dans son «camping-car» flambant neuf et de reprendre la route séparant la Côte d'Azur de Copenhague, longue de quelques milliers de kilomètres. Son film n'est pas disqualifié de la compétition, mais l'auteur cinéaste est interdit d'entrée à la cérémonie de clôture. Si jamais le jury, présidé par Robert de Niro décidait d'attribuer dimanche un prix revenant directement à l'auteur ou au cinéaste (scénario, mise en scène, Palme d'or), von Trier ne sera pas autorisé à monter sur la scène du Théâtre Lumière pour cueillir son laurier.

Dans un communiqué, hier, la direction du Festival «regrette profondément que Lars von Trier ait utilisé cette tribune exceptionnelle pour exprimer des propos inacceptables, intolérables, contraires aux idéaux d'humanité et de générosité qui président à l'existence même du Festival».

Tout le monde reconnaît évidemment le caractère déplacé des propos formulés lors du dérapage de ce provocateur de première, prêtre du cynisme acerbe et de l'humour macabre. Qui n'en est d'ailleurs pas à ses premières frasques. Mais le jugement prompt et sans appel du conseil d'administration provoque néanmoins un certain malaise. Le couperet est tombé sans le moindre procès, sans même que von Trier, qui a présenté des excuses à sa manière, c'est-à-dire sans y croire, ne puisse véritablement rectifier le tir. Même s'il a déclaré plus tard avoir fait l'idiot (ce qui est vrai) et s'être lancé dans une épouvantable diatribe sur le sujet le plus sensible du monde - l'Holocauste - sans «savoir ce qui lui a pris», le cinéaste est désormais condamné à mort par ceux-là mêmes qui l'ont mis au monde. Par sa propre faute, diront la majorité des gens. Et ils auront bien raison. N'empêche que c'est d'une tristesse...

Incontestablement l'une des plus grandes vedettes du monde du cinéma des trois dernières décennies, von Trier est une créature du Festival de Cannes. Qui l'a sélectionné en compétition officielle dès Element of Crime, son tout premier long métrage en 1984 (Images d'une libération, présenté à Berlin en 1982, était un moyen métrage). Melancholia marque son 10e passage en compétition officielle. Jamais passé par les sections parallèles avant de rejoindre les ligues majeures, le chef de file du cinéma danois contemporain est entré par la grande porte du Palais des festivals et ressort aujourd'hui par la sortie de secours à coups de pied au derrière. Dans l'esprit, parfois malade, de cet être impertinent, ce scénario doit quasiment emprunter les allures d'un dénouement inespéré.

Je soupçonnerais même le père du «Dogme» de considérer son nouveau statut d'antéchrist du cinéma comme une ultime consécration. Dommage qu'après le suicide, il n'y ait plus rien.

Une Palme pour le Québec?

Nicolas Roy pourrait décrocher une Palme d'or dimanche. Dites-lui cela et il se pincera encore tant il a du mal à croire que son cinquième court métrage, Ce n'est rien, fut choisi par le comité de sélection cannois pour concourir dans la section compétitive. C'est pourtant bel et bien vrai. Son film de 14 minutes, dans lequel il relate avec force ellipses la vengeance d'un père (Martin Dubreuil, remarquable) ayant appris que sa fillette a été victime de sévices, fait partie des neuf courts métrages, venus d'autant de pays, en lice pour la Palme d'or.

Rencontré au lendemain de son arrivée à Cannes, où il met les pieds pour la première fois, le grand gaillard, monteur du Curling de Denis Côté, semblait flotter dans un monde irréel.

«Mon film précédent, Jour sans joie, avait failli se retrouver à la Semaine de la critique l'an dernier, explique-t-il. Jamais je n'aurais toutefois pu imaginer me retrouver en compétition officielle pour une Palme. Tu t'imagines le nombre de courts métrages soumis au comité? C'est une chose à laquelle je ne rêvais même pas tellement tout ça semble inaccessible. Les producteurs de Voyou Films y ont cru et ont fait les démarches nécessaires.»

Le programme des courts métrages inscrits en compétition officielle étant présenté demain, le verdict du jury, présidé par Michel Gondry, sera rendu dimanche. Et annoncé lors de la cérémonie de clôture.

«À mes yeux, mon film n'a pas grand-chose en commun avec l'univers de Michel Gondry, mais on verra bien. J'ai quand même une chance sur neuf!

Et si jamais tu gagnes la Palme, comment réagiras-tu?

Je pense que je vais virer fou!»

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