Même s'il a offert l'une des plus belles sélections des dernières années, le Festival de Cannes a été perturbé par les affaires DSK et LVT. La Palme d'or attribuée à The Tree of Life reste difficilement contestable.

Fait exceptionnel, la bulle dans laquelle vivent les festivaliers cannois pendant 12 jours fut crevée cette année. Et deux fois plutôt qu'une. L'affaire Dominique Strauss-Kahn a d'abord eu l'effet d'une véritable bombe sur la Croisette, court-circuitant du coup le «scandale» présumé de La conquête, film qui retrace l'ascension de Nicolas Sarkozy vers la présidence de la République française. Du jour au lendemain, la politique-réalité a largement pris le pas sur la politique-fiction.

Puis vint l'affaire Lars von Trier. Des propos choquants du cinéaste en conférence de presse, suivis d'excuses. Insuffisantes aux yeux du conseil d'administration. Qui a prolongé inutilement l'affaire en chassant pour la première fois de son histoire un cinéaste comme un malpropre.

Ces deux affaires ont jeté de l'ombre sur une compétition de très haut niveau.

Robert De Niro, président du jury, nous aura toutefois laissés sur une note souriante au début de la soirée de clôture. S'efforçant de s'exprimer en français, l'acteur a commis un joli lapsus en évoquant une «belle expérience avec mes champignons» (il voulait dire ses compagnons). Les huit «champignons» et le président ont en tout cas accouché d'un palmarès où 8 des 20 films de la compétition sont primés.

Pour la Palme d'or, The Tree of Life relevait presque de l'évidence. Le nouveau film de Terrence Malick, inégal mais comportant d'immenses moments de cinéma, porte le souffle des oeuvres dignes d'un prix aussi prestigieux.

Attendu depuis des années, le nouveau film du réalisateur de The Thin Red Line est un conte philosophique où s'entrecroisent l'infiniment petit et l'immensément grand. Les drames vécus par une famille texane des années 50 d'un côté; la création de l'univers de l'autre. Et le parcours d'un homme d'aujourd'hui se débattant avec ses propres démons comme point de convergence.

Même si le nouveau Malick (à l'affiche au Québec le 17 juin) ne fait pas l'unanimité, le choix de coiffer The Tree of Life du plus beau laurier apparaît difficilement contestable.

«La plupart d'entre nous y avons vu un film d'envergure, un film important, et il méritait notre attention, a expliqué Robert De Niro après l'annonce de son palmarès. Mais il y a eu des décisions difficiles à prendre. Et la nature d'un jury est de faire des compromis. Je ne dis pas que nous en avons fait un pour The Tree of Life, cela dit. La plupart d'entre nous estiment qu'il s'agit d'un film remarquable.»

Des choix étranges

Manifestement, les discussions furent animées au sein du jury. Cela explique peut-être certains choix un peu étranges à nos yeux. La compétition étant particulièrement relevée cette année, des films méritoires ont été laissés de côté pendant que des candidats de «fond de grille» se sont faufilés au palmarès.

Des pointures comme Aki Kaurismaki, Nanni Moretti, Paolo Sorrentino (dont l'excellent This Must Be The Place aurait certainement mérité une place de choix dans le tableau) et Pedro Almodovar ont été écartés. Dans le cas du réalisateur espagnol, il faudra probablement sortir le grand jeu pour tenter de le convaincre de venir à nouveau présenter un film en compétition à Cannes. D'autant plus qu'il s'était déjà fait beaucoup prier pour consentir à lancer sur la Croisette La piel que habito, l'un de ses meilleurs films.

On peut se réjouir du Grands Prix attribué ex aequo au Gamin au vélo (Jean-Pierre et Luc Dardenne) et à Il était une fois en Anatolie (Nuri Bilge Ceylan); de même que du prix d'interprétation masculine attribué à Jean Dujardin pour sa remarquable composition dans The Artist. Le prix du jury accordé à Polisse de Maïwenn - assurément l'un des meilleurs films de la sélection, sinon le meilleur - n'était que justice.

En revanche, on comprend vraiment mal pourquoi le plus mauvais cheval de la course, Footnote de Joseph Cedar, se retrouve gratifié du prix du meilleur scénario. Quant au prix de la mise en scène pour Drive (Nicolas Winding Refn), parlons ici d'un simple effet de mode.

Melancholia primé malgré tout

Melancholia de Lars von Trier, cinéaste expulsé jeudi, s'inscrit quand même au tableau grâce à Kirsten Dunst, lauréate du prix d'interprétation féminine. Une fois montée sur la scène du Théâtre Lumière, l'actrice a remercié, de façon très élégante, la direction du festival de ne pas avoir exclu le film de la compétition. Elle a aussi remercié Lars von Trier de lui avoir «permis d'être aussi brave». L'actrice a toutefois préféré ne pas rencontrer les journalistes lors de la traditionnelle conférence de presse des lauréats. Compte tenu des circonstances, personne ne lui en a tenu rigueur.

Que le jury ait attribué un laurier au film de Lars von Trier constitue quand même un cas de figure intéressant. Peut-être a-t-on voulu, à travers ce prix, exprimer une dissidence envers la décision du Conseil de déclarer le trublion danois persona non grata. Évidemment, le geste aurait été plus cinglant si un prix avait été attribué directement à Lars von Trier. Quand même. Bien des festivaliers croyaient que le jury n'oserait jamais récompenser Melancholia.

«Ils ont voulu le punir ou je ne sais trop, a dit Robert De Niro en parlant de Von Trier. Mais à partir du moment où le film reste en compétition, advienne que pourra.»

De son côté, le juré Olivier Assayas estime que Melancholia est l'un des meilleurs films de von Trier. «Nous avons tous condamné les propos qu'il a tenus lors de sa conférence de presse, mais j'adore son film, une oeuvre d'art accomplie, l'un des grands films de ce festival.»

Robert De Niro a par ailleurs bien résumé la dynamique au sein de son jury. «Quand je tourne un film, je dis toujours que le drame doit être à l'écran, pas sur le plateau. Ce fut un peu le même principe ici!»

Avec ou sans champignons?

Le palmarès du festival

> Palme d'or : The Tree of Life, de Terrence Malick

> Grand Prix : Le gamin au vélo, de Jean-Pierre et Luc Dardenne, et Il était une fois en Anatolie, de Nuri Bilge Ceylan

> Prix de la mise en scène : Nicolas Winding Refn (Drive)

> Prix du jury : Polisse de Maïwenn

> Prix d'interprétation masculine : Jean Dujardin (The Artist)

> Prix d'interprétation féminine : Kirsten Dunst (Melancholia)

> Prix du scénario : Joseph Cedar (Footnote)

> Caméra d'or : Pablo Giorgelli (Las Acacias)

> Palme d'or (courts métrages) : Cross de Maryna Vroda

> Prix du jury (courts métrages) : Maillot de bain 46 de Wannes Destoop