Woody Allen réalise un film par année. Bon an, mal an. Un bon suivi d’un moins bon suivi d’un bon. Il tourne comme il respire. Par nécessité sans doute. Le cinéma comme une seconde nature.

On le comprend lorsqu’on le rencontre en personne. Clown triste à lunettes, d’une discrétion maladive. Le spleen affiché dans la posture défaitiste: le dos voûté, les paupières tombantes, l’air morose.

Woody Allen ne sourit pas. Ses films sourient à sa place. Son autodérision est sa bouée de sauvetage. Sa filmographie, une forme de psychanalyse.

Parfois, c’est vrai, il semble tourner par-dessus la jambe. Ces dernières années en particulier. Parce qu’il y a des délais, des obligations, des partenaires européens. Ses films sont attendus. Par lui le premier. Alors parfois, il fait vite.

D’autres mettent des années à réaliser un film. Terrence Malick en est l’archétype: le somptueux Tree of Life, Palme d’or à Cannes (à l’affiche le 17 juin), n’est que son cinquième film en près de 40 ans. Chacun ses méthodes.

Woody Allen ne compte plus ses films. Ceux qu’il a écrits, ceux qu’il a réalisés, ceux qu’il a interprétés, pour son compte ou celui des autres. Retrouver devant soi cet homme chétif, fragile, diminué physiquement, c’est se rendre compte à quel point il a survécu grâce au cinéma. En s’accrochant, chaque fois, à une nouvelle échéance: celle du prochain film. Vivre pour tourner et tourner pour vivre, en traçant son sillon, sans jamais savoir où le chemin va le mener.

Midnight in Paris, qui a ouvert le dernier Festival de Cannes et pris l’affiche hier au Québec, n’a longtemps été qu’un titre. Et un désir. Celui de filmer une ville aimée et admirée. Le cinéaste aurait pu prendre bien des avenues, en partant de la Place de l’Étoile. Inspiré par les légendes de la Ville lumière, il a décidé de raconter l’histoire d’un scénariste hollywoodien blasé (Owen Wilson), happé par les fantasmes d’une vie trépidante dans le Paris fou des années 20.

Woody Allen, effacé et d’humeur chagrine, peut sembler blasé. Il ne l’est pas le moindrement. Ses yeux s’illuminent lorsqu’il parle de cinéma. De la direction photo, des plans, de l’image, qu’il veut très chaleureuse. Du brun, du rouge, du jaune. Il n’y a pas de bleu dans ses films, dit-il. Les acteurs ne portent pas de vêtements de couleurs froides. Il ne tolère que les teintes d’automne.

Certains ne voient plus en lui qu’un dilettante, dont l’oeuvre signifiante est tout entière derrière lui. S’il n’est plus le cinéaste en état de grâce d’il y a 30 ans - celui d’Annie Hall, Manhattan, Zelig, The Purple Rose of Cairo et autres Hannah and Her Sisters -, il a encore des choses à dire et à montrer. Et il sait toujours trouver la manière unique, inimitable, de le faire. Une manière beaucoup plus précise qu’il n’y semble au premier coup d’oeil.

«On m’avait dit qu’il ne dirigeait pas beaucoup les acteurs, a déclaré Owen Wilson en conférence de presse à Cannes. C’est faux.» Même écho chez Michael Sheen, qui interprète un personnage délicieusement pédant dans Midnight in Paris. «J’avais entendu dire que je ne serais pas dirigé. Mais je l’ai beaucoup été. J’ai conservé les notes de tournage que Woody m’a données et dont je me servirai toujours, je crois, dans ma carrière.»

Ses acteurs, unanimement, le remercient de la liberté qu’il leur confie sur un plateau de tournage. À ces compliments, le cinéaste ne répond rien. Humble devant la grandeur du septième art, il est parfaitement lucide face à son oeuvre, à ses imperfections et ses limites. «Je ne serai jamais Fellini, Bergman ou Kurosawa», aime-t-il répéter, sans fausse modestie.

Il est Woody Allen. Un cinéaste cinéphile sous des airs de patenteux de pellicule maladroit et bric-à-brac. Un maître de la comédie psychologique, capable de reconnaître l’influence de René Clair ou des avant-gardistes de la Nouvelle Vague sur son propre cinéma. «Aujourd’hui, je ne me tourne plus vers d’autres pour de l’inspiration, disait-il à Cannes. Je devrais peut-être le faire. Je travaille comme si je savais tout ce qu’il y avait à savoir sur le cinéma, alors que c’est faux. Je fais des erreurs terribles dans mes films. Terribles. Quand j’étais jeune, je me tournais vers mes mentors. Ils sont tous morts. Alors, je ne me fie plus à personne, sauf à moi-même. Je fais sans doute fausse route...»

Visiblement pas, M. Allen.

Parce que vous l’avez raté


Il y a des films comme ça qui, inexplicablement, passent presque inaperçus. Je dis inexplicablement, alors que je sais très bien pourquoi En terrains connus de Stéphane Lafleur est passé inaperçu auprès du public québécois, cet hiver. C’est un film gris comme le brouillard, à l’humour noir charbon, que certains ont trouvé plate à mourir.

J’y reviens, à l’occasion de sa sortie en DVD, parce que j’estime qu’il s’agit du film québécois le plus abouti de cette première moitié d’année. Un bijou de film d’auteur, irrésistiblement fin et drôle, dans la lignée du long métrage précédent de Stéphane Lafleur, Continental, un film sans fusil.

Le jeune cinéaste s’intéresse encore une fois aux misères ordinaires. Celles d’un couple qui s’effrite (Fanny Mallette et Sylvain Marcel), d’un jeune homme (Francis La Haye) atteint dans sa masculinité, à qui rien ne sourit. Stéphane Lafleur est un orfèvre de la mise en scène, au sens aigu de l’observation. Son film tragicomique est pétri d’ironie et d’intelligence. Un bijou, que je vous dis. Si c’est ça un film plate, emenez-en des films plates.