«C'est un bon film, touchant, intéressant, un très, très bon divertissement.» Pierre Harel, qui fut des années d'éclosion d'Offenbach, parlait au micro de Paul Arcand lundi du film Gerry d'Alain Desrochers, à l'affiche dans une semaine. En des termes élogieux, qui ne masquaient pas pour autant, dans la voix, dans le ton, un agacement.

Puis le chat de ruelle est sorti du sac: «J'ai eu de la misère à rester assis sur ma chaise, a dit l'auteur de Câline de blues. Trop de détails m'horripilaient parce que ça ne s'est pas passé comme ça...»

Ça ne s'est pas passé comme ça. C'en est presque un cliché tellement chaque fois que le cinéma se risque à la biographie, il y a un ex-collaborateur, un ami, un parent, un adversaire, une cousine ou un ex-beau-frère pour dire: ça ne s'est pas passé comme ça.

Ça ne s'est pas passé exactement comme ça. Pierre Harel est le premier à comprendre pourquoi. Parce qu'une vie, même une courte vie de 44 ans, celle du chanteur Gerry Boulet en l'occurrence, ne se raconte pas dans le détail précis, en 2h11. Parce que, comme pour bien des choses, il aurait fallu être là, sur place, pour témoigner fidèlement de ce qui s'est réellement passé.

Ma collègue Nathalie Petrowski n'était pas dans les locaux de répétition d'Offenbach ni dans les bars où ses membres fondateurs ont parfois failli en venir aux coups au début des années 70. Elle n'était pas dans la maison de Gerry et de sa dernière compagne, Françoise Faraldo, où l'amour fiévreux affrontait déchirements dans les années 80.

Pourtant, son scénario, inspiré de la biographie d'un autre collègue de La Presse, Mario Roy, et d'entretiens avec des proches de Gerry Boulet, donne l'impression au spectateur de s'y retrouver, lui, dans cette intimité. Même Pierre Harel dit avoir été fasciné par la justesse et la crédibilité du compte-rendu de la fin de vie de Gerry.

Le film d'Alain Desrochers, pour la majorité de ceux qui l'ont vu, respecte l'essence de ce qu'était Gerry Boulet. Pas toutes ses manies et tous ses travers, pas tous ses démons et ses élans poétiques, mais l'essence de l'homme et de l'artiste.

Gerry, le film, n'est certainement pas une trahison ni une transgression. Pierre Harel le reconnaît lui-même lorsqu'il encourage les gens à aller le voir «parce que ça donne déjà une idée de ce qu'était Offenbach». «Une pâle idée d'après moi, ajoute-t-il, parce qu'Offenbach, c'était pas un gars, c'était un groupe.»

On comprend ses réserves. On comprend sa difficulté à faire face à une image, forcément infidèle et imprécise, de ce qu'il a été et de ce qu'il a connu. Mais Gerry est un film sur un gars, pas un groupe. La licence du scénariste, la liberté du cinéaste font en sorte que certains événements ont été tronqués, certains lieux trafiqués, certaines situations amalgamées.

Une biographie filmée, même la plus respectueuse des faits, ne reflète pas une réalité à la lettre, mais un esprit. Gerry respecte cet esprit. Ce qui ne veut pas dire que ceux qui ont vécu certains événements ne se reconnaîtront pas à l'écran. C'est inévitable. Se regarder dans le miroir, parfois, c'est ne pas se reconnaître.

Pierre Harel, qui a quitté Offenbach dans le tumulte avant de former Corbeau, reproche entre autres aux acteurs de ne pas ressembler aux personnages qu'ils interprètent. On se doute bien que le jeune Harel, pourtant très séduisant, ne ressemblait pas à Éric Bruneau. Gerry n'évite pas toujours l'écueil de la caricature. Mais quelqu'un qui, comme moi, n'a pas connu Gerry Boulet et n'a suivi sa carrière que d'une oreille distraite peut en arriver, en voyant le film, à oublier que Mario Saint-Amand n'est pas Gerry.

Contrairement à Pierre Harel, j'estime que le principal défaut de Gerry est justement d'avoir trop voulu rendre compte de ce qui s'est passé, comme cela s'est passé. Gerry est une biographie filmée tout ce qu'il y a de plus classique, dans la forme et dans la chronologie, qui s'attarde beaucoup au détail.

Ses artisans semblent n'avoir tellement rien voulu omettre de la vie et de l'oeuvre de Gerry Boulet dans le film qu'il s'en trouve un peu encombré, donnant l'impression d'une succession de tableaux parfois anecdotiques. La matière est si dense, il y a un tel roulement de personnages secondaires qu'il reste peu de place à de réels crescendos émotifs.

Gerry reste, comme le reconnaît Pierre Harel, un tableau d'époque intéressant, proposant une perspective historique autour d'un personnage marquant du rock québécois, qui a inspiré bien des gens d'une génération. Ceux-là seront comblés, notamment par la musique de Gerry et d'Offenbach, extrêmement présente dans le film. Assez, sans doute, pour se rappeler un concert mémorable au Forum ou à l'aréna Paul-Sauvé. Et de précisément comment les choses se sont passées.

Errata

Deux malheureuses erreurs à vous signaler. Le DVD En terrains connus, dont quelques médias annonçaient la sortie la semaine dernière, ne sera offert au public que le 27 septembre prochain, selon son distributeur Films Séville. J'en parlais dans ma chronique de samedi. Aussi, une étourderie m'a fait écrire 100 00$ plutôt que 100 000$, dans ma chronique de mardi, à propos des subventions versées annuellement à la Fondation de Margie Gillis. On aura compris qu'il s'agissait d'une coquille. Je vous assure que je n'étais pas mauvais en maths au secondaire.