Mercredi. Dans un hôtel de la banlieue nord, situé à un carrefour routier avec vue imprenable sur le stationnement d'un centre commercial et la bretelle d'accès à une voie plus si rapide que ça, l'Association des propriétaires de cinémas et cinéparcs du Québec a tenu son souper annuel. Elle y a notamment accueilli le lauréat de son prix Bobine d'or, Denis Villeneuve.

Je tenais à y être pour bavarder un peu avec le cinéaste. Le principal intéressé s'en est d'ailleurs un peu étonné, car il a l'impression d'avoir déjà pas mal tout dit, tout raconté. Il a aussi été très exposé dans les médias. Depuis la présentation d'Incendies au Festival de Venise l'automne dernier, tout roule à folle allure pour lui. Après la nomination aux Oscars, le rythme s'est accentué de façon encore plus vertigineuse. Villeneuve enchaîne les entrevues, multiplie les rencontres, parcourt le monde sans ne plus trop savoir dans quel pays il se trouve, ni sur quel fuseau horaire régler son métabolisme. Le grand timide aura pourtant traversé l'épreuve (parce que c'en est une) avec grâce.

«On m'avait prévenu que la promotion serait intense, mais je ne m'attendais quand même pas à ça, reconnaît-il. J'ai même pété les plombs récemment! Enfin, pas vraiment, mais au cours d'une entrevue en anglais avec un journaliste coréen, ou finlandais ou je ne me souviens plus trop, je me suis entendu répéter pour la millième fois la même réponse à la même question qui m'était posée. Et je suis parti à rire en disant que, non, là, vraiment, ce n'était plus possible!»

Denis Villeneuve étant un homme élégant, il n'a évidemment pas fait d'esclandre. Mais il est néanmoins aujourd'hui heureux de «débarquer» tout juste de cette énième tournée de promotion.

Il se trouve pourtant que cette participation à l'événement «d'affaires» de mercredi constituait, de fait, sa première apparition publique au Québec depuis les Oscars. Et depuis, aussi, l'annonce de son embauche pour réaliser Prisoners, un thriller doté d'un budget de 50 millions de dollars, mené à Hollywood par le studio Warner Bros., sous la houlette de la société de production Alcon Entertainment (Insomnia, The Blind Side).

«Oui, j'ai signé, confirme-t-il. Le feu vert est donné pour aller en production. Mais il n'y a aucun acteur pour l'instant. Donc, je ne sais pas encore si je vais pouvoir tourner à l'automne. Je tombe dans un univers très étrange où des noms de vedettes sont évoqués, où des agents jouent des games, bref, un monde où existe beaucoup de calcul. Je me réserve le droit de me retirer si jamais le projet ne me satisfait plus sur le plan artistique. Cela dit, je ne suis pas naïf. Je sais très bien dans quoi j'embarque. Mais j'ai envie d'aller voir, d'apprendre.»

S'il affirme ne pas avoir personnellement changé depuis neuf mois, il reste que sur le plan professionnel, sa vie d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celle de l'an dernier. Il jongle en outre avec six projets intéressants, parmi lesquels l'adaptation du roman L'autre comme moi, de l'écrivain portugais José Saramago. Sur le plan artistique, Villeneuve est très ambitieux. Mais il n'est pas carriériste.

«Si ça se trouve, on se reverra peut-être l'an prochain après un film que j'aurai tourné au Québec avec 4 millions. Pour moi, le sentiment sera exactement le même. Là, je veux écrire. Je veux tourner.»

Pendant huit ans, entre Maelström et Next Floor, un court métrage qui lui a valu un prix à la Semaine de la critique à Cannes, Denis Villeneuve s'est pourtant imposé un silence pendant lequel il s'est beaucoup interrogé. Notamment à propos de son écriture. À 43 ans, il estime être aujourd'hui en pleine possession de ses moyens.

«Ce temps d'arrêt fut essentiel, reconnaît-il. Et salutaire. Si je ne m'étais pas accordé cette pause, je ne ferais plus de cinéma aujourd'hui. Je n'aurais jamais pu réaliser Polytechnique ou Incendies sans être passé par cette profonde remise en question. J'ai même l'impression que tout ce que j'ai mûri durant cette période me servira davantage dans mes prochains films.»

Le mois prochain, le Festival de Karlovy Vary (République tchèque) lui rendra hommage. En sa présence.

«Ce sera une occasion de revoir mes quatre longs métrages sur grand écran et de faire le point, dit-il. J'avoue ne pas entretenir un rapport très facile avec les deux premiers, Un 32 août sur Terre et Maelström. J'aurais parfois le fantasme de les effacer et de les refaire. Quand tu penses qu'Alejandro González Iñárritu a fait d'Amores Perros son premier film, tu te dis: ouais...»

Il ne peut refaire, évidemment. Mais ce qu'il fera s'annonce passionnant. À suivre, donc.

Panique à l'Académie!

L'Académie des arts et techniques du cinéma s'est vautrée dans le ridicule il y a deux ans en permettant à dix productions d'être en lice pour l'Oscar du meilleur film plutôt que cinq. Cette ouverture devait en principe favoriser l'inclusion de longs métrages plus «populaires» dans l'ultime catégorie. Et avoir pour effet d'attirer un plus large public - lire plus jeune - vers la grande cérémonie hollywoodienne annuelle. Or, il n'y a pas 10 longs métrages dignes de l'Oscar du meilleur film dans une année. Et The Hangover II n'a pas plus de chances de figurer dans la liste que son illustre prédécesseur. Voulant visiblement retourner à l'ancienne formule sans vouloir perdre la face, les bonzes de l'Académie, branchés sur le mode panique, sont arrivés cette semaine avec une solution mitoyenne. Dorénavant, on se réserve le droit de sélectionner pour l'ultime statuette plus de cinq productions, sans obligatoirement aller jusqu'à dix. Fallait y penser!

Ce billet cinéma fait relâche jusqu'au 12 août. Bonnes vacances!