Les réactions ne se sont pas fait attendre. Le programme du Festival des films du monde venait à peine d'être publié (ou mis en ligne) que déjà, des festivaliers m'invitaient à le scruter de plus près. «Où sont les films sous-titrés en français, M. le journaliste?», demandaient-ils. Bonne question. Le problème de l'accessibilité des films dans la langue officielle du Québec a posé problème de façon récurrente au fil des ans. Mais il est vrai qu'en ce 35e anniversaire du FFM, la situation semble être pire que jamais à cet égard.

Ailleurs qu'au Cinéma Impérial et au Théâtre Maisonneuve, où un système de sous-titrage électronique est installé (seulement pour les films inscrits dans la compétition mondiale), c'est carrément une catastrophe. Prenons une date «ordinaire» au hasard. Mardi 23 août, tiens. Au Quartier Latin, 53 séances sont offertes ce jour-là dans les 9 salles dévolues au FFM. Combien d'entre elles proposent un film en français ou sous-titré dans la langue de Molière? Allez, amusez-vous. Tentez un chiffre. La réponse est cinq. Cinq!

Bon, d'accord. Peut-être sommes-nous simplement tombés sur une «mauvaise journée». Reprenons l'exercice avec une date différente alors. Jeudi 25 août: 7 séances accessibles en français sur les 54 prévues au programme du Quartier Latin. Le vendredi 26, c'est un peu mieux: on atteint le fabuleux score de neuf!

Dans la deuxième ville francophone du monde, cette situation est non seulement grotesque, elle est honteuse. Et gangrène de l'intérieur à peu près tous les festivals de cinéma de Montréal. Il convient d'ailleurs de préciser que le FFM n'est pas le seul à obtenir une mauvaise note à ce chapitre. Pour comble d'insulte, des films produits dans le pays de Stephen Harper, où, aux dernières nouvelles, il existait toujours deux langues officielles, sont présentés chez nous en version originale anglaise sans aucun sous-titre. Montrez un film canadien de langue française sans sous-titres à Toronto; on en noircira probablement de pleines pages dans les journaux.

Un vieux disque usé

Bien entendu, on nous ressortira les mêmes sempiternels arguments. Qu'on fera tourner comme un vieux disque usé. On évoquera un financement insuffisant ne permettant pas d'installer un système de sous-titrage électronique dans toutes les salles. On parlera aussi de la difficulté à convaincre les producteurs de faire parvenir des copies sous-titrées en français en Amérique du Nord. On relèvera la petitesse de notre marché, etc.

J'ai eu la chance de me rendre à Karlovy Vary au cours de l'été. Bien que majeur, surtout aux yeux des artisans des pays d'Europe centrale, le festival de cinéma tenu dans la célèbre ville thermale de la République tchèque ne fait quand même pas partie des grands rendez-vous incontournables du circuit international. Et pourtant...

Environ 200 films sont présentés dans ce festival qui, tout comme le FFM, est de catégorie «A», selon une certification attribuée par la Fédération internationale des associations des producteurs de films (FIAPF). Les films étrangers sont évidemment présentés avec des sous-titres anglais, langue de la mondialisation oblige. C'est normal, c'est entendu. Cela dit, toutes les salles sont équipées là-bas d'un système de sous-titrage électronique. La direction du festival exige ainsi de chaque producteur un DVD de visionnement accompagné d'une transcription des dialogues de leur film.

Si la production est dans l'impossibilité de fournir le matériel requis, on peut attendre alors l'arrivée de la copie et se lancer dans une course contre la montre pour livrer les sous-titres tchèques à temps. «On ne peut se permettre plus de cinq cas semblables par an», souligne en outre Karel Och, son directeur artistique. Les producteurs de Roméo Onze (réalisation d'Ivan Grbovic) et Laurentie (réalisation de Mathieu Denis et Simon Lavoie), présentés en primeur mondiale à Karlovy Vary il y a quelques semaines, se sont conformés à la règle de bonne grâce. Les films de Denis Villeneuve, à qui le festival rendait hommage cette année, ont tous été présentés avec des sous-titres anglais ET tchèques.

La langue du pays

C'est dire que dans un pays de 10 millions d'habitants, dont la langue nationale ne rayonne pour ainsi dire pas du tout à l'extérieur de ses frontières, il est quand même possible pour un festival de cinéma d'offrir respectueusement à sa population cinéphile la totalité de sa programmation. Le score des films accessibles dans la langue tchèque au Festival de Karlovy Vary est parfait: 100%. Pourtant, la programmation ne comporte qu'une vingtaine de films locaux.

Évidemment, on peut supposer que les organisateurs du FFM ne travaillent pas tout à fait dans les mêmes conditions, ni avec les mêmes budgets. Dans un excellent reportage sur le financement public des grands festivals publié récemment dans La Presse, mon collègue Vincent Brousseau-Pouliot a fait remarquer à quel point les grands événements culturels étaient mieux financés en Europe. On estime en effet généralement à plus de 50% du budget d'un festival l'investissement public là-bas, comparativement à un maigre 20% (et encore, c'est généreux) dans notre pays. Ceci explique peut-être cela.

N'empêche qu'il n'y a pas raison de décolérer. Même si rien n'est jamais simple à Montréal, l'absence de films accessibles à la clientèle francophone dans un festival de cinéma reste injustifiable. Et totalement inacceptable.