Toronto a tout pourtant. Les ambitions et les moyens de les réaliser. Les films d'auteur et les films populaires. Les stars hollywoodiennes et les grands cinéastes du cinéma mondial. Un quartier général à la fine pointe, un public comblé, un marché qui brasse des affaires, et tutti quanti.

Certains Montréalais, amateurs du Festival des films du monde en particulier, aiment croire, parce que cela les console, que le Festival international du film de Toronto (TIFF) n'est qu'un événement boursouflé par les médias, créé de connivence avec Hollywood pour faire la promotion de ses films (et de ses produits dérivés).

Les théories du complot ont la couenne dure. Le TIFF est certes un grand marché de films, le plus important de tous à être intégré à un festival. Mais c'est un marché pour tous les films, qu'ils soient iraniens, canadiens ou hollywoodiens. Et s'il est vrai qu'en marge de ses activités quotidiennes, le Festival se transforme en gigantesque événement de presse, avec entrevues de stars à la chaîne, il est surtout le lieu de convergence de tous les cinémas. Celui d'Alexandre Sokourov comme celui de George Clooney.

Bien sûr, il y a la réalité d'un événement, et il y a ce que les médias en rapportent et qui tient lieu, pour ceux qui n'y sont pas, de réalité. À lire certains journaux, magazines et blogues, à regarder certaines émissions de télé, on peut en venir à croire que Toronto et Hollywood, c'est blanc bonnet, bonnet blanc.

Prisme médiatique déformant, qui s'intéresse pour des raisons évidentes au passage en ville de Brad Pitt et Angelina Jolie - actrice militante qui ne voyage jamais au Cambodge sans son sac Louis Vuitton (authentique) -, mais pas à celui d'Asghar Farhadi, qui a tourné un chef-d'oeuvre en Iran (Une séparation, Ours d'or à la Berlinale) au péril de sa liberté.

Dans l'ombre des stars, il y a peu d'espace pour les maîtres méconnus, à Toronto comme ailleurs. Mais il y a au moins de la place au TIFF pour leurs films. Pour le journaliste qui couvre le festival - et pour le festivalier lui-même - le choix est tellement vaste, le menu tellement alléchant, les invités si nombreux, qu'on ne sait plus forcément où donner de la tête.

Hier matin, par exemple, les nouveaux longs métrages de Luc Besson, Steve McQueen, Kim Ki-Duk, Lasse Hallström et Madonna étaient tous présentés en même temps. Good luck, Kim Ki-Duk.

Sans compter qu'il y a très peu de projections d'un même film pendant le festival, tellement la grille est chargée, que les conférences de presse se succèdent sans répit, qu'il faut trouver du temps pour des entrevues à publier ultérieurement et pour les soirées fastueuses (je pense à celle d'Alliance Films, animée en plein air, entre deux gratte-ciels, par les chansons de Cee Lo Green) qui nous donnent le pouls de l'événement.

Je reviens du TIFF, où je n'avais pas mis les pieds depuis 12 ans. Ce qui frappe d'emblée, c'est que tout est beaucoup plus grand qu'à la fin du dernier millénaire. La programmation, les partys, les stars (et pas seulement celles du cinéma). Le jeudi, c'est U2, le vendredi Brangelina, le samedi Clooney, le dimanche Coppola, le lundi Madonna. Tassez-vous de d'là!

On le sait, il y a des sous à Toronto. Et pas seulement dans les partys, les cocktails et les petites bouchées. Les nouvelles infrastructures du TIFF sont à faire rougir d'envie tous les festivals de la planète. Le Lightbox, inauguré l'an dernier, représente le nec plus ultra des complexes cinématographiques. Pensez à l'Ex-Centris, duquel il est inspiré, à la puissance 10.

Le TIFF a par ailleurs conservé son rôle originel de «Festival of Festivals», en y ajoutant des premières de films très attendus, américains pour la plupart. Ici, le festivalier peut savourer la crème de la crème de Cannes, Venise et Berlin, voire de Telluride, Locarno et Karlovy Vary, tout en découvrant en primeur les principaux candidats de la prochaine cérémonie des Oscars. Excusez du peu.

Alors que demander de plus? Je me le demande, justement, depuis jeudi. J'ai fréquenté les autres grands festivals de cinéma: ceux de Cannes, Venise et Berlin. Ils ont chacun leur personnalité propre. Il se dégage de chacun une ambiance particulière, qui résonne et rayonne, et reste évidemment de l'ordre de l'intangible et de l'inexplicable.

Il y a beaucoup de monde au Festival de Toronto. Un mélange de gens de l'industrie, des médias et du public cinéphile. Beaucoup d'activités aussi. Assez pour donner le vertige. Mais ce que je n'y ai pas tout à fait retrouvé, c'est l'effervescence, le bouillonnement, l'excitation des autres grands festivals (compétitifs, il faut dire). Ni du reste ce qui fait de Montréal - ce n'est pas chauvinisme; ce n'est pas mon genre - une «ville de festivals». Ce que l'on appelle, je crois, le supplément d'âme.