On n'en avait que pour U2, le week-end dernier, au Festival international du film de Toronto. From the Sky Down, du réputé documentariste Davis Guggenheim (An Inconvenient Truth), a ouvert le TIFF en présence de Bono et The Edge, avec un regard introspectif fascinant sur la création de l'album phare du groupe dublinois, Achtung Baby.

On n'en avait que pour U2, le week-end dernier, au Festival international du film de Toronto. From the Sky Down, du réputé documentariste Davis Guggenheim (An Inconvenient Truth), a ouvert le TIFF en présence de Bono et The Edge, avec un regard introspectif fascinant sur la création de l'album phare du groupe dublinois, Achtung Baby.



Le même week-end, un autre célèbre groupe rock était aussi dans la Ville reine, pour deux spectacles et la première mondiale d'un documentaire sur sa carrière. Pearl Jam, de passage à Montréal il y a 10 jours, a eu 20 ans cette année. Le cinéaste et ex-journaliste rock Cameron Crowe (Almost Famous, Jerry Maguire) a voulu souligner cet anniversaire avec Pearl Jam Twenty, qui sera présenté en salle mardi.

En matière de «rockumentaire», Pearl Jam Twenty, avec ses extraits vidéo parfois de mauvaise qualité, est certainement moins léché que From the Sky Down. Le film de Cameron Crowe tient davantage du journal intime que de la psychanalyse de supergroupe rock. C'est aussi un film moins distancié de son sujet que l'est celui de Davis Gugenheim. Un hommage franc qui évite tout de même les écueils de l'hagiographie.

J'ai été fasciné par le documentaire sur U2. J'ai été ému par celui sur Pearl Jam. Cela tient sans doute à mon rapport nostalgique à ces deux groupes, qui vivent essentiellement de leur fonds de commerce et dont la nouvelle musique ne m'intéresse plus depuis belle lurette.

Certains films nous donnent l'impression de revoir des images de notre passé. Des images floues, enfouies dans notre mémoire, qui redeviennent claires. Ces films résument si bien une époque que l'on a le sentiment très fort, la conviction presque, d'y être transporté. Pearl Jam Twenty, pour moi, est de ceux-là.

En 1991, l'année de la parution d'Achtung Baby, je ne m'intéressais plus guère à U2. Mais je dévorais, comme bien des gens de ma génération, tout ce qui provenait de près ou de loin de la ville de Seattle. Nevermind de Nirvana, dont on célèbre aussi les 20 ans ce mois-ci (lire le dossier dans nos pages samedi prochain), a été pour moi un album électrochoc.

Contrairement à ceux qui s'obligeaient à choisir un camp - le punk rock mélodique de Nirvana ou le hard rock alternatif de Pearl Jam -, j'embrassais tout ce que le Seattle Sound pouvait offrir, remontant toutes ses filières.

Voir Pearl Jam Twenty, qui commence en retraçant les origines du groupe dans Mother Love Bone et Green River, m'a replongé dans les souvenirs de mes 18 ans. Celui des voix unies d'Eddie Vedder et de Chris Cornell pleurant la mort par surdose d'héroïne du chanteur Andrew Wood sur Hunger Strike (du collectif Temple of the Dog).

Je me suis revu dans l'étuve de l'Auditorium de Verdun, en août 1993, les cheveux longs comme ceux d'Eddie Vedder, transi de sueur et de bonheur dans le mosh pit d'un show d'anthologie.

Comme le temps passe vite. C'est le sentiment que les fans de Pearl Jam partageront en découvrant le film de Cameron Crowe, un ami du groupe qui s'est installé à Seattle au milieu des années 80 comme journaliste rock (et dont la vocation précoce a inspiré le scénario d'Almost Famous). C'est Crowe, peu présent dans le documentaire, qui en assure la narration.

On peut décrire Pearl Jam Twenty comme une «musicographie» de luxe, puisant dans un riche bassin d'archives et d'enregistrements inédits. Comme cette version inédite d'Alive, hymne du groupe, tirée seulement de son deuxième spectacle. Eddie Vedder, discret et timide, n'y est encore que l'ombre du chanteur intense et survolté qui finira par se balancer dans la foule depuis les échafaudages, des dizaines de mètres au-dessus de la scène. «Il a failli se tuer plusieurs fois», raconte le guitariste Stone Gossard.

Cameron Crowe retrace la carrière de Pearl Jam de manière chronologique, en s'intéressant en particulier à la tourmente des succès du début et aux doutes de la dernière décennie (depuis la tragédie du Festival de Roskilde, en 2000, où neuf spectateurs ont été piétinés à mort à l'avant-scène pendant un spectacle).

Le cinéaste de Singles, tourné à Seattle et mettant brièvement en scène les musiciens de Pearl Jam, a bien sûr interviewé tous les membres du groupe, séparément, soutirant à chacun des confidences. Des proches, dont Chris Cornell, ont également participé au projet. L'ex-chanteur de Soundgarden offre une perspective fort intéressante sur la scène «grunge», la fraternité entre groupes (Mudhoney, Screaming Trees, Alice in Chains, etc.) et les rivalités «médiatiques» de l'époque.

Cameron Crowe rappelle que lorsque Kurt Cobain avait critiqué le son trop commercial de Pearl Jam en entrevue, la presse musicale avait fait ses choux gras de «l'affaire». Pearl Jam Twenty s'attarde davantage à l'amitié, authentique, entre Cobain et Vedder. On voit les deux supposés rivaux s'enlacer et danser ensemble un «slow» en coulisse d'un spectacle d'Eric Clapton.

«J'ai perdu un ami», dit Eddie Vedder de la mort prématurée de Cobain. «Sa critique nous a fait mal au début, admet Stone Gossard, premier véritable leader de Pearl Jam. Mais si nous sommes devenus ce que nous sommes, c'est grâce à lui.» Pearl Jam Twenty, à l'affiche mardi, sera télédiffusé le 21 octobre à l'antenne de PBS, dans le cadre de l'excellente série American Masters.