Amos Gitaï est le cinéaste emblématique d'Israël, son pays natal, dont il est aussi l'un des plus éloquents critiques. À travers une oeuvre colossale de plus de 80 titres en tous genres, ce cinéaste engagé nous a permis de mieux comprendre Israël, le Moyen-Orient, et le drame qui s'y trame quotidiennement.

Le Festival du nouveau cinéma accueille Amos Gitaï, aujourd'hui, à 17h, à la Cinémathèque, pour une leçon de cinéma donnée en parallèle d'une rétrospective de certains de ses films les plus marquants. Il ne s'agit pas de la première visite de Gitaï au FNC, ni de sa première leçon de cinéma. «J'aime beaucoup ce genre d'exercice, m'a-t-il confié jeudi. D'autant que je n'ai jamais fait d'école de cinéma, mais une école d'architecture.»

Fils d'un architecte du Bauhaus, collègue de Mies van der Rohe, Gitaï est lui-même titulaire d'un doctorat en architecture de l'Université de Berkeley. C'est à l'époque de ses études qu'il a frôlé la mort, pendant la guerre de Kippour, le jour de son 23e anniversaire. Un traumatisme qui est aussi un événement fondateur de son cinéma, dont l'une des thématiques dominantes concerne le conflit israélo-arabe.

«J'étais étudiant quand on m'a envoyé à la guerre, dit-il. Je me suis retrouvé dans un hélicoptère de sauvetage, dans lequel on ramassait des blessés. Le 11 octobre, le cinquième jour de cette guerre, alors qu'on survolait le Golan, les forces syriennes ont lancé un missile sur notre hélicoptère. Mon copilote a été décapité. On a réussi à se sauver, dans des circonstances qui ne sont pas faciles à expliquer. C'est pour ça que je suis ravi d'être ici. D'autres n'ont pas eu ma chance.»

L'expérience lui a inspiré un documentaire, ainsi que l'un de ses plus célèbres films de fiction, le fascinant Kippour. Ce manifeste esthétique contre la guerre, pratiquement sans dialogues, lancé en 2000 au Festival de Cannes, ainsi que le remarquable Kadosh (1999), sur la condition des femmes hassidiques à Jérusalem, ont révélé le cinéaste à un public cinéphile international.

Sélectionné de nombreuses fois depuis en compétition des festivals de Cannes et de Venise, entre autres, Amos Gitaï est conscient d'avoir ouvert une brèche pour d'autres cinéastes israéliens. «Parfois, il faut avoir l'audace ou le courage de faire une percée, dit-il. En restant proche de sa propre vérité. Des fois, les gens te donnent des fleurs et des fois, ils te jettent des pierres.»

Lui qui a longtemps été plus reconnu à l'étranger que chez lui (où certains de ses films ont été mal accueillis), et qui a vécu en exil aux États-Unis et à Paris, accepte-t-il volontiers cette étiquette de «représentant» du cinéma israélien?

«J'aime beaucoup ce pays, dit-il. Je suis souvent en désaccord avec sa politique, mais c'est un endroit qui me touche et je souhaite qu'il sorte de l'impasse. J'ai envie qu'Israël continue d'exister, mais comme société ouverte, tolérante, et pas comme un État intégriste ni militariste. Qu'il garde cette complexité, dans un environnement très hostile et complexe qui est celui du Moyen-Orient. Avec une ouverture d'esprit.»

C'est cette ouverture d'esprit, sans doute, qui a poussé Amos Gitaï à mettre volontairement en scène, depuis ses débuts, des comédiens juifs et arabes dans ses films. Pour témoigner, avec ces fines métaphores qui font la force de son oeuvre, que la cohabitation est possible.

«Je suis ce drame du Moyen-Orient, dit-il. Parce que c'est un vrai drame, le Moyen-Orient. Il y a un besoin de chroniqueurs, de témoins de la situation. On a énormément de médias. On a peut-être la plus grande concentration de caméras par mètre carré de la planète qui nous regardent tout le temps. Il faut que le cinéma propose une autre lecture. Nous, les écrivains, les artistes, les cinéastes, par des médiums différents, faisons la chronique de cette histoire très dramatique. En même temps, nous apportons aussi notre opinion. Je n'ai pas envie que mon fils vive la même expérience que j'ai vécue pendant la guerre de Kippour.»

Briser le cycle de violence, ainsi que l'exprime la chanson, répétée comme un mantra, de Free Zone (2005). Une préoccupation déjà présente dans le premier long métrage d'Amos Gitaï, Esther (1986), inspiré des écrits bibliques, mettant en scène les Juifs dans le rôle des oppresseurs. «Ce sont des cycles qui n'arrêtent pas, dit-il. La persécution et le persécuté, le persécuté qui se transforme en persécuteur.»

Se considère-t-il lui-même comme un cinéaste engagé? «Je crois que j'ai des choses à dire. J'ai envie d'exprimer mes opinions. C'est un équilibre délicat. Il ne faut pas que le cinéma devienne un pamphlet ou un instrument de guerre.»

Pas un instrument de guerre, mais un instrument de paix? «Ça peut être un instrument de paix. Et surtout, un instrument pour stimuler la réflexion. Pour ne pas être schématique, ne pas voir partout l'ennemi, ne pas verser dans une sorte de paranoïa. Pour reconnaître l'autre, son existence, ses contradictions aussi, comme les nôtres. Je crois que si on progresse dans cette démarche, on approche de la coexistence. Le Moyen-Orient a besoin de coexistence. Il a gaspillé beaucoup de ressources dans l'exercice de la guerre, en faisant beaucoup de victimes. J'espère que le temps est venu de se réconcilier pour mettre nos énergies ailleurs. Pour construire. Et là, peut-être que je pourrai devenir architecte!»