Le cinéma Excentris a rouvert officiellement ses portes hier. Il ne s'agit pas que de la réouverture d'une salle de cinéma. C'est un espoir qui renaît. Celui de voir la cinéphilie reprendre la place qui lui revient à Montréal.

>>> Voyez notre vidéo «l'Excentris redevient cinéma».

>>> Commentez sur le blogue de Marc-André Lussier

Ce joyau moderne du boulevard Saint-Laurent a été réaménagé, se veut plus accueillant. Deux ans et demi après sa fermeture partielle - seule la salle du Parallèle avait survécu -, le fleuron montréalais du septième art connaît une seconde vie.

Il reste à espérer que les cinéphiles, qui s'y rendaient presque les yeux fermés, renoueront rapidement avec leurs vieilles habitudes. Afin que l'Excentris nouveau soit rentable.

Grâce au concours de la SODEC (un prêt de 4 millions), de la Ville de Montréal (une subvention de 2,75 millions) et de la fondation Daniel Langlois (un don d'un million), le Cinéma Parallèle, organisme sans but lucratif, a pu se porter acquéreur des trois salles, qui ont été rénovées, et dont il assurera la gestion. Le gouvernement Harper, il va sans dire, n'a pas contribué à l'aventure.

«On a réussi à rouvrir les salles après un travail laborieux de près de deux ans», a précisé hier Caroline Masse, directrice générale du Cinéma Parallèle. La plus grande d'entre elles, la Cassavetes, a été reconvertie en salle de cinéma après avoir été transformée en 2009 en salle de spectacles. Il a fallu réinstaller les fauteuils d'origine, refaire l'acoustique et l'éclairage, et se procurer de nouveaux projecteurs numériques.

Les fameux guichets impersonnels, où l'on pouvait acheter des billets à un commis dissimulé derrière un hublot électronique, ont été remplacés. Et comme les recettes aux guichets ne suffisent pas à assurer la rentabilité d'un cinéma, un comptoir à friandises (où l'on trouve du pop-corn bio) ainsi qu'un bar permettront de générer des revenus inexistants dans le projet initial.

Les salles et le hall réaménagés seront aussi loués pour des événements d'entreprises, hors des heures de projection habituelles. Mais pour assurer la pérennité d'Excentris, ses nouveaux dirigeants ont surtout prévu l'ajout, d'ici fin 2013, de deux à quatre salles dans la cour intérieure du complexe. De petites salles d'une capacité de 70 ou 80 sièges, dites de «continuité», où les films pourront demeurer à l'affiche plus longtemps. Elles serviront entre autres à la programmation de festivals.

«Il nous faut ces nouvelles salles pour que l'ensemble soit rentable. Il n'y a plus de mécène pour éponger des déficits de 500 000$», explique le président du C.A. d'Excentris, Christian Yaccarini, en parlant de Daniel Langlois, qu'il a remercié de son aide. Le fondateur d'Excentris a cédé ses salles pour environ la moitié de leur valeur marchande. La phase 2 du projet nécessitera d'autres emprunts de 2 à 3 millions, selon des estimations. Le Cinéma Parallèle détient aussi une option pour l'achat de l'espace qu'occupe le Café Méliès.

La fermeture d'Excentris, en mars 2009, a eu des conséquences fâcheuses sur la distribution du cinéma indépendant et étranger au Québec. Sans ce fleuron de la cinéphilie, les distributeurs ont été moins enclins à acquérir des films qui autrefois se seraient retrouvés sur ses écrans. La quantité de films, notamment français, à prendre l'affiche au Québec a diminué d'une manière que même le milieu n'avait pas envisagée.

Deux salles du complexe sont ouvertes depuis juillet. En raison des rénovations en cours, cette ouverture partielle n'a pas été publicisée. Et on ne se bouscule pas aux portes depuis. La fermeture pourrait-elle avoir eu des effets irréparables?

«Le défi est grand, reconnaît Caroline Masse, qui espère retrouver d'ici six mois la fréquentation d'autrefois. Excentris a été fermé pendant plus de deux ans. Les distributeurs ont acquis moins de films du type que l'on présente. Nous avons l'intention d'augmenter l'offre, en espérant que cela permettra aussi d'augmenter la demande.»

Le Cinéma Parallèle avait prévu au départ déménager dans de nouvelles salles, autour du métro Saint-Laurent. Ce projet de plus de 20 millions a dû être abandonné. La direction estime qu'une occupation des sièges de l'ordre de 22 à 23% sera nécessaire pour assurer la rentabilité d'Excentris.

Christian Yaccarini parle d'un «projet collectif» et reste convaincu que le cinéma d'auteur a un public suffisant pour assurer la survie d'Excentris. «Le cinéma de niche a moins perdu de public que le cinéma en général, dit-il. Nous avons fait les premiers pas. Il faut que les Montréalais fassent le deuxième. Les distributeurs ont aussi un rôle à jouer. Il faut que le milieu se mobilise. On ne pourra pas assumer tous les risques.»

Pour l'instant, la programmation d'Excentris, même si elle se révèle d'une grande qualité, ne se démarque pas particulièrement de ce qui est présenté ailleurs. Les nouveaux films d'Almodóvar et de Lars von Trier sont à l'affiche, comme les documentaires de Mathieu Roy et Harold Crooks ou de Richard Desjardins et Robert Monderie.

Caroline Masse compte travailler à proposer des films que l'on ne trouve pas nécessairement ailleurs, du moins avec sous-titres français. «Nous espérons que la cinéphilie pourra en être inspirée. Si la cinéphilie s'élargit, on va tous en bénéficier», dit-elle.

Elle a raison. Le statut de la cinéphilie reste précaire au Québec. La réouverture d'Excentris se présente comme une impulsion dont elle a grandement besoin. If you build it, he will come, veut une célèbre réplique du cinéma hollywoodien. Espérons que le cinéphile aura entendu l'appel, et que cette fois-ci sera la bonne.