Tintin débarque chez nous vendredi prochain. Partout ailleurs en Amérique du Nord, il ne pourra être vu que deux semaines plus tard.

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Pour une rare fois, pour une première fois en fait, un grand studio, Paramount en l'occurrence, fait une distinction claire entre le marché québécois et son propre marché «intérieur», duquel le Canada fait partie. Innocente, cette tentative de séduction? Évidemment, non. Dans une industrie où chaque décision est pesée, soupesée, où le moindre geste est de nature intéressée, il est clair que cette stratégie est calculée.

D'abord lancé en Europe il y a plus d'un mois, le film d'animation en 3D de Steven Spielberg s'approche ainsi progressivement du territoire où se jouera l'avenir d'une éventuelle franchise. Même si l'intrépide reporter à la houppette rousse a voyagé en Amérique dès le troisième album de ses aventures, il demeure, rappelons-le, un parfait inconnu sur ce continent.

Les producteurs du film ont d'abord voulu créer une rumeur en Europe pour intriguer le public américain. En choisissant le seul territoire tintinophile nord-américain comme rampe de lancement sur leur propre terrain de jeu, ils espèrent bonifier l'écho favorable venu des vieux pays et ainsi attiser le désir chez leurs compatriotes.

Cette stratégie fonctionnera-t-elle? Comme on dit en politique, on verra. De toute façon, plusieurs de nos voisins du Sud iront voir le film grâce à la réputation de celui qui l'a réalisé. Et confondront sans doute le nom du héros avec celui de la vedette canine d'une vieille série télévisée des années 50.

À Paris, le mois dernier, j'ai eu la chance de voir The Adventures of Tintin: The Secret of the Unicorn dans sa version originale, de même que dans sa version doublée en français. J'ai souvent écrit qu'à mon humble avis, un doublage constitue une atteinte grave à l'intégrité artistique d'une oeuvre cinématographique. En tant que cinéphiles, nous devons militer pour obtenir des copies en version originale avec des sous-titres en français. Je le crois toujours.

Or, je recommande fortement d'aller voir la version française de Tintin plutôt que la version originale. À moins que le «Tinetine», son chien Snowy, Thomson et Thompson, ainsi que le professeur Calculus - qui a été sacrifié dans le film - ne nous soient déjà familiers, la version originale anglaise se révèle pour le moins étrange à nos oreilles.

C'est un peu comme si l'atteinte à l'intégrité artistique avait lieu cette fois en sens inverse. Dans la version originale, l'accent britannique des personnages accentue le décalage. La langue de Hergé y perd en effet beaucoup de couleur au profit d'un esprit plus «british».

C'est particulièrement flagrant dans le cas des Dupond et Dupont. D'autres petits détails favorisent aussi le décrochage du tintinophile francophone. Par exemple, Tintin paie en «pounds « sa maquette de la Licorne au marché public. Mais attendez, on est où là? À Londres ou à Bruxelles?

La technique de «capture du mouvement» qu'utilise Spielberg rend l'animation plus réaliste, c'est entendu. Le mouvement des lèvres des personnages s'harmonise ainsi à ce qu'ils disent en anglais. La version française, beaucoup plus fidèle à la langue des albums en général - et à celle du capitaine Haddock en particulier! -, demeure quand même de loin préférable.

Signalons que parmi les grands studios américains, Paramount est le plus mauvais élève au chapitre des doublages québécois. L'an dernier, le géant américain a commandé un doublage local pour 53% des films qu'il distribue chez nous. Il est classé loin derrière ses concurrents. Fox atteint le score de 79%; Warner, 82%; et Buena Vista (Disney), Sony et Universal peuvent désormais se vanter d'avoir une belle étoile dans leur cahier grâce à leur note parfaite (100%).

La version française de Tintin a été réalisée en France. C'est très bien ainsi. Si les doublages québécois se révèlent pertinents pour les films d'animation, les comédies contemporaines ou toute autre production que les Français ont cru bon doubler en argot, on voit quand même mal comment justifier une version locale dans ce cas-ci.

Le français qu'on entend dans Les aventures de Tintin: Le secret de la Licorne n'est pas argotique ni parisien. C'est le français d'Hergé. Et sa langue nous enchante depuis 80 ans.

La reconquête

Le vaisseau amiral de la cinéphilie à Montréal vogue de nouveau à pleines voiles. L'Excentris a retrouvé sa vocation d'origine et a rouvert officiellement cette semaine les salles Cassavetes et Fellini. Pour marquer le coup, vous pourrez voir demain et dimanche deux films pour le prix d'un. Au programme, les excellents Melancholia (Lars von Trier), La peau que j'habite (Pedro Almodóvar), L'exercice de l'État (Pierre Schoeller), et aussi des documentaires qui ont su provoquer des discussions: Survivre au progrès (Mathieu Roy) et Inside Lara Roxx (Mia Donovan). Gâtez-vous.