Mitsou Gélinas est la porte-parole de la Fondation du cancer du sein du Québec depuis six ans. Un travail qu’elle accomplit bénévolement, tient-elle à préciser. Et c’est à ce titre que j’ai voulu lui parler, la semaine dernière, afin qu’elle commente le documentaire choc de Léa Pool, L’industrie du ruban rose.

L’animatrice de Kampaï, à la télévision de Radio-Canada, n’avait pas vu ce film qui pose des questions essentielles sur les campagnes caritatives et dénonce la multiplication des produits, parfois étonnants (armes à feu, poulet frit, voitures, etc.), associés à la lutte contre le cancer du sein.

La porte-parole était en tournage au moment des projections de presse. Aussi, il a été décidé que la présidente de la Fondation du cancer du sein du Québec, Nathalie Le Prohon, elle-même atteinte d’un cancer, répondrait à sa place, au nom de l’organisme.

Certains ont reproché à Mitsou son silence. L’industrie du ruban rose, un film percutant et courageux, qui n’hésite pas à accuser certaines entreprises bien connues, n’a laissé personne indifférent. Or, comme elle incarne au Québec le «visage» de la lutte contre le cancer du sein, on s’attendait à ce que Mitsou se prononce à son tour sur le documentaire. Elle l’a vu en début de semaine.

«Le film soulève des questions importantes, que nous nous posons aussi à la Fondation depuis que le livre qui l’a inspiré [Pink Ribbons, Inc.: Breast Cancer and the Politics of Philanthropy, de Samantha King] a été publié, m’a-t-elle dit jeudi, de Nassau, aux Bahamas. Mais j’ai trouvé que la manière dont les démarches pour amasser des fonds étaient dépeintes dans le film était péjorative. On a choisi de mettre en lumière les personnages les plus caricaturaux de ces événements-là.»

Mitsou se désole surtout du décalage, dans le film, entre ces images de femmes exaltées qui marchent et celles, beaucoup plus sobres, de femmes en phase terminale du cancer du sein, réunies dans un salon. «J’ai trouvé qu’en insistant sur cette différence, on n’était pas respectueux des femmes qui marchent. Elles le font avec tout leur coeur.»

La porte-parole de la Fondation du cancer du sein du Québec ne nie pas la pertinence évidente de ce document produit par l’Office national du film. Et reconnaît qu’il y a des entreprises qui profitent, avec opportunisme, de leur association à la lutte contre le cancer du sein pour s’attirer la sympathie du public.

«Nous avons senti cette vague-là il y a un certain temps, dit-elle. Et nous sommes restés très vigilants. Nous nous concentrons surtout sur des événements caritatifs. Il n’y a que 19% de nos revenus qui sont associés à des produits. Au Québec, on fait attention. Il n’y a pas de poulet frit dans des sceaux roses! Les compagnies auxquelles nous nous associons sont choisies consciencieusement.»

N’empêche qu’au Québec, comme ailleurs, l’on voit apparaître un peu partout, dans des réclames faisant la promotion d’appartements à vendre, de produits alimentaires ou cosmétiques, le fameux ruban rose. Le symbole, servi à toutes les sauces, souvent dénaturé, est-il victime de son succès?

«Je ne crois pas, dit Mitsou. Bien sûr qu’il y a un capital de sympathie lié à l’association d’une compagnie à la lutte contre le cancer du sein. Mais on ne peut pas présumer de la mauvaise foi des entreprises. Elles nous aident à nous faire connaître et participent à notre marketing. Plus les femmes sont informées, et mieux c’est. Il faut se rappeler qu’il y a 25 ans, il y avait encore des femmes qui mouraient du cancer du sein dans la honte. Aujourd’hui, parce qu’on en parle beaucoup plus, c’est moins le cas.»

On le devine: si Mitsou prend aujourd’hui la parole, ce n’est pas seulement pour répondre aux critiques, mais aussi pour clairement dissocier la Fondation du cancer du sein du Québec des autres organismes du genre, particulièrement américains, visés plus spécifiquement par le documentaire de Léa Pool.

«Il faut mettre les choses en perspective, dit-elle. Notre Fondation est distincte, comme le Québec est distinct. Nous répondons à toutes les questions. Nos livres sont ouverts. Nous avons contribué à hauteur de huit millions dans la recherche l’an dernier, ici même au Québec et de façon parfaitement indépendante des compagnies pharmaceutiques.»

Elle a beau tenter d’en minimiser l’impact, on devine chez l’animatrice une réelle crainte d’un ressac résultant du battage médiatique entourant la sortie, il y a une semaine, de L’industrie du ruban rose. Chaque année, 6200 femmes ont un diagnostic de cancer du sein au Québec. Les investissements en recherche proviennent à 40% des fonds amassés par les organismes sans but lucratif.

«Il faut faire attention, dit Mitsou. Je trouve que l’ONF envoie un message dangereux, qui est que l’argent ne va pas à la recherche. Oui, il y a de l’argent pour la recherche, même si c’est souvent pour les médicaments et peut-être pas assez pour le dépistage des causes. On est tributaires des recherches internationales en cours. J’ai peur que les gens fassent le constat que ça ne sert à rien de donner à la Fondation. Au contraire. Cet argent, qui est bien géré, sert à quelque chose!»

Le débat n’est pas terminé...