Bestiaire n’est ni un documentaire ni un film de fiction. Qu’est-ce alors ? Un essai, dit son réalisateur, Denis Côté. Une proposition de cinéma, pourrait-on ajouter.

Cet objet filmique, qui a ouvert mercredi les 30es Rendez-vous du cinéma québécois (et qui prendra l’affiche en salle le 6 avril), est pour le moins singulier de forme et de fond, et pousse le spectateur à s’interroger sur sa propre relation à l’art cinématographique.

Pendant 72 minutes, celui-ci est pratiquement laissé à lui-même alors que défilent devant ses yeux des plans captés par une caméra fixe. Qu’elles soient dessinées par des artistes, soignées dans leurs cages, libres de circuler dans l’espace qui leur est dévolu (parfois devant des humains enfermés dans leurs bagnoles), ou carrément empaillées, les bêtes sont livrées ici « au naturel ». Mais ce naturel, l’est-il vraiment ?

Une proposition de cinéma, disions-nous. Avec laquelle Denis Côté revendique sa neutralité. Lors d’une entrevue réalisée récemment, l’auteur cinéaste affirmait sa volonté d’accorder au spectateur l’entière liberté – responsabilité ? – d’interprétation. À lui de prendre sa place, d’y projeter ses propres hantises, sa propre subjectivité.

« Bestiaire est un film complètement interactif, expliquait-il. Les gens me prêtent des intentions. Et j’adore ça. En fait, le spectateur a parfois du mal à concevoir qu’on puisse lui présenter un film comme celui-là sans obligatoirement afficher une forme de militantisme. Or, je ne suis intervenu d’aucune façon pendant le tournage. J’ai tout simplement filmé ce qui se passait devant la caméra. »


Sauf que Bestiaire n’est quand même pas un home movie tourné par mononcle Gérard lors d’une visite au Parc Safari par un beau week-end d’automne. Il s’agit bel et bien d’une œuvre forte, portant la signature de l’un des cinéastes québécois les plus célébrés sur le circuit des festivals internationaux. Bestiaire est devenu une œuvre à l’étape du montage et de la postproduction. C’est là qu’il a aussi perdu son innocence.


L’auteur cinéaste n’est intervenu d’aucune façon dans la « mise en scène » avec les animaux, qui n’ont pas été « dirigés », mais il n’hésite pas à expliquer du même souffle que le « gars des vues » a quand même eu la patte très lourde. La conception sonore du film a en effet été inventée à 80 %. C’est dire que le son est souvent faux. Des effets ont été ajoutés. Ponctuellement, on entend en outre des sons troublants venant de la cage des félins, comme si les bêtes cognaient de toute leurs forces sur la porte de leur geôle comme le ferait un prisonnier désespéré en état de panique.

Le spectateur ne peut faire autrement – anthropomorphisme sans doute – que d’y comprendre le signe d’une profonde détresse. Or, ces sons ont été fabriqués de toutes pièces. La neutralité que revendique le réalisateur de Curling est alors quand même, disons, un peu… orientée.


« Il n’y a pourtant aucune volonté de dénonciation, répond Denis Côté. Plutôt une envie de travailler le langage cinématographique. Bestiaire n’est pas un documentaire sur un zoo. Il n’y a de ma part aucune intention provocante non plus. L’aspect sensoriel des choses m’intéresse. Ce que le spectateur se projette lui-même dans sa tête par rapport aux sensations qu’il ressent m’intéresse encore davantage. »


Une expérience cinématographique en somme. Fascinante de surcroît.

La porno idéologique
Dans Sous terre (In Darkness), en nomination pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, la réalisatrice Agnieszka Holland entre en matière en montrant l’humiliation quotidienne dont ont été victimes les Juifs en Pologne pendant la guerre. Les nazis faisaient notamment danser certains d’entre eux pour mieux les ridiculiser ensuite.

Dans sa croisade contre les artistes « bénéficiant » de fonds publics pour exercer leur art (c’est-à-dire à peu près tous les artistes canadiens), Sun News Network a mis cette semaine dans sa mire Monsieur Lazhar, sélectionné aux Oscars dans la même catégorie que le film de madame Holland.

Par l’entremise de Krista Erickson, celle-là même qui a malmené sans blâme Margie Gillis en entrevue (le Conseil canadien des normes de radiotélévision ne régit pas l’élégance, la politesse ni l’intelligence du propos), le réseau pro conservateur a dénoncé le financement public dont a fait l’objet ce film doté d’un budget total de 3,7 millions de dollars.

On a aussi posé la fameuse question : mais où peut bien aller tout cet argent quand le film engendre un profit ? Les artistes étant bien entendu tous des voleurs vivant grassement aux crochets de l’État, le réseau a ensuite invité son auditoire à demander personnellement des comptes aux producteurs du film de Philippe Falardeau, notamment pour savoir combien de dollars ces derniers ont tirés de cette aventure. Et ils ont affiché à l’écran les coordonnées de micro_scope, la société que dirigent Kim McCraw et Luc Déry.


Vraiment, bravo.