Il ne fait aucun doute que The Artist est le grand vainqueur de la 84e soirée des Oscars. L’accomplissement est de taille pour tous les artisans de ce film français tourné à Hollywood, l’antre même où s’est fabriquée la mythologie du cinéma américain depuis tant de décennies.

D’une certaine façon, Hollywood s’est célébré lui-même à travers le film de Michel Hazanavicius. Même s’il convient de marquer d’une pierre blanche ce point dans l’histoire des Academy Awards, il reste que la nationalité des artisans ayant conçu The Artist constitue ici un détail. «Pourquoi n’avons-nous pas pensé à rendre un si bel hommage au cinéma d’hier nous-mêmes?», a-t-on souvent entendu dans les chaumières américaines au cours des derniers mois. «Je croyais qu’on avait créé une catégorie entière pour les films étrangers, justement pour empêcher ce genre de chose!», a lancé samedi à la blague le Canadien Seth Rogen, animateur de la soirée des Independent Spirits Awards, où The Artist, évidemment, a aussi triomphé.

Le fait est qu’un grand sentiment de nostalgie a étreint hier ceux qui fabriquent du cinéma hollywoodien dans un tout autre contexte que les artisans qui les ont précédés. À l’époque dépeinte dans The Artist, tout était encore à faire. Le cinéma vivait son premier âge d’or, les ambitions artistiques ne se mesuraient pas encore au nombre des effets spéciaux, et le clivage entre les films à vocation commerciale et les oeuvres plus «fréquentables» sur le plan artistique était une notion inconnue. À vrai dire, il n’y avait que les bons films d’un côté, et les mauvais de l’autre.

Hollywood était alors le lieu de convergence des gens de talents, autant ceux issus d’Amérique que ceux venus d’ailleurs et qui ont choisi de s’installer à l’ombre du mont Lee.

Une fois l’an, les membres de l’Académie - âge moyen de 62 ans d’après la récente enquête du L.A. Times - ont le loisir de célébrer un cinéma qui n’est pratiquement plus envisageable de produire à l’intérieur du système hollywoodien aujourd’hui. D’où cette exaltation d’une époque glorieuse (mais révolue) dans le cadre d’une cérémonie où l’on met l’accent sur l’excellence au cinéma. L’allocution de Morgan Freeman dès les premières secondes de la cérémonie traduisait bien ce sentiment.

Chaque année, Hollywood entretient son mythe à travers les Oscars. Les membres de l’Académie n’allaient certainement pas se priver de l’occasion, d’autant que deux des productions les plus en vue évoquaient, chacune à sa façon, les premières heures de gloire du septième art.

Martin Scorsese a mis en lumière l’apport inestimable au cinéma du pionnier français Georges Méliès dans son très beau film Hugo. Michel Hazanavicius a de son côté rendu hommage au cinéma hollywoodien des années 20 avec The Artist. Ces regards croisés, offerts par des créateurs issus de cultures différentes, ne pouvaient faire autrement que de toucher une corde sensible chez les académiciens.

Plus que la France, c’est la nostalgie qui fut portée en triomphe à Hollywood dimanche soir.