On aura beau se questionner bon an mal an sur le mode de sélection de ses finalistes, la Soirée des Jutra fait rarement les mauvais choix au final.


Le film québécois de l’année a été logiquement plébiscité hier soir par l’industrie du cinéma. Fort de sa sélection comme finaliste à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, de ses succès dans les festivals étrangers et de son sacre de la semaine dernière à la Soirée des Genie, Monsieur Lazhar a remporté hier sept prix à l’occasion de la 14e Soirée des Jutra.


Un gala qui a consacré non seulement la réalisation subtile de Philippe Falardeau ainsi que son adaptation fine et sensible de la pièce d’Evelyne de la Chenelière, non seulement le jeu des jeunes acteurs Sophie Nélisse et Émilien Néron et la musique de Martin Léon, mais aussi la rencontre du public avec le cinéma de l’auteur de Congorama et de La moitié gauche du frigo.


Philippe Falardeau est un habitué des Jutra. La moitié gauche du frigo avait valu un prix d’interprétation à Paul Ahmarani (que l’on voit trop peu au cinéma) en 2001. Six ans plus tard, Congorama avait remporté cinq Jutra, dont ceux du meilleur film, de la meilleure réalisation et du meilleur scénario. C’est pas moi, je le jure ! a valu à André Turpin le prix de la meilleure photographie en 2009.


Mais aucun des longs métrages précédents de Philippe Falardeau n’avait réussi à rejoindre un large public. Ces rendez-vous (plus ou moins) ratés avec le public québécois étaient restés pour le cinéaste une énigme, une déception, sinon une blessure. Lui qui, homme d’esprit à l’humour fin, élevé au cinéma hollywoodien, n’a jamais levé le nez sur le cinéma populaire et se targue avec raison de faire des films tout sauf hermétiques.


Grâce à Monsieur Lazhar, œuvre intimiste qui aborde des thématiques difficiles – l’exclusion, l’immigration, la différence –, Falardeau a relevé le pari d’outrepasser les frontières de la cinéphilie. Et de rallier à la fois ses admirateurs de la première heure, les critiques, les jurys de festivals et de remises de prix, et le grand public. Sans doute au moment où il s’y attendait le moins.


Monsieur Lazhar, qui met en vedette un acteur maghrébin inconnu jusqu’alors au Québec, ainsi que des enfants tout aussi méconnus, a attiré quelque 290 000 personnes dans les cinémas de la province, cumulant environ 2,7 millions de dollars aux guichets. Ce qui en fait le troisième film québécois le plus populaire de 2011 après Starbuck et Le sens de l’humour.
Les producteurs du film, Luc Déry et Kim McCraw de micro_scope, qui avaient réussi le même exploit avec Incendies de Denis Villeneuve l’an dernier, disent que leur secret est de travailler avec des amis. Disons qu’ils ont du flair pour produire les films audacieux d’amis extrêmement talentueux !


L’éclairage exceptionnel jeté sur Monsieur Lazhar depuis quelques semaines encouragera peut-être certains à découvrir les petits bijoux que sont La moitié gauche du frigo, Congorama et C’est pas moi, je le jure ! C’est la grâce que l’on souhaite à l’un de nos plus brillants cinéastes.
Heureusement, Monsieur Lazhar n’a pas tout balayé sur son passage hier. Les prix d’interprétation à Vanessa Paradis et Gilbert Sicotte ont souligné de grandes performances d’acteurs.


Café de Flore, un film ambitieux et complexe qui a divisé le public (et la critique), mais dont les qualités esthétiques sont indéniables, méritait pleinement ses prix de la meilleure direction artistique (Patrice Vermette) et de la meilleure photographie (Pierre Cottereau).


Gilbert Sicotte, exceptionnel dans le rôle de sa carrière, a permis de mettre en valeur Le vendeur de Sébastien Pilote, la révélation de l’année.