Alex est né à 26 semaines, bien avant terme. On lui donnait 24 heures à vivre. Il a survécu. Alex vit à Sioux City, dans l’Iowa. Il est l’aîné d’une famille de quatre enfants. Un adolescent atypique, maladroit, au physique ingrat. Un nerd, un weirdo, un punching bag maigrelet et bringuebalant, qui se fait régulièrement traiter de « face de poisson » par ses camarades de classe. Quand ils sont polis...

Alex avait 14 ans lorsque le documentariste Lee Hirsch a décidé de le filmer pendant une année scolaire complète. Pour témoigner de l’intimidation dont est victime ce garçon sans malice, au cœur pur, qui a eu le malheur de naître prématurément et d’être resté « différent » des autres.

Bully, dont la première montréalaise a eu lieu hier soir (le film sera à l’affiche la semaine prochaine), est un documentaire troublant, extrêmement émouvant, qui s’intéresse au sort de cinq familles de différentes régions rurales des États-Unis. Deux d’entre elles sont en deuil d’un enfant qui s’est suicidé à force d’être intimidé (l’un n’avait que 11 ans). Les trois autres tentent de protéger leur enfant d’une pratique qui semble être perçue, aux États-Unis, comme une fatalité.

Il est vrai que l’intimidation, particulièrement dans le cadre scolaire, a toujours été plus ou moins tolérée. Ici comme ailleurs. Les geeks se faisaient ridiculiser devant leur casier à mon école aussi, il y a 25 ans. Et on ne courait pas toujours à leur défense.

En voyant Bully, on se dit que les choses n’ont pas changé pour le mieux. Et que la violence et la cruauté des rapports entre adolescents ne semblent plus avoir de limites. Comme le dit la mère d’Alex dans le documentaire de Lee Hirsch : « Quand j’étais petite et qu’il y avait du grabuge dans l’autobus scolaire, le chauffeur s’arrêtait et intervenait. Aujourd’hui, personne ne fait plus rien. »

Dans l’autobus qui le mène de la maison à l’école, Alex se fait non seulement traiter de tous les noms (tapette, salope, etc.), mais on le menace, devant les caméras, de le poignarder et de le laisser pour mort, sans que quiconque ne bronche. Bonjour la solidarité étudiante.

Le « crime » d’Alex ? Avoir voulu se faire un ami. Ce qui n’est pas simple lorsqu’on est constamment isolé, marginalisé, et que l’on n’a pas su développer de capacités sociales. Est-ce une raison pour être méprisé, ridiculisé, menacé physiquement et psychologiquement ?

Bien sûr que non. « Boys will be boys », répondent pourtant les éducateurs, impuissants, dépassés par les événements, minimisant un phénomène grave qui, à force d’être publicisé, commence à être considéré pour ce qu’il est : un problème de société.

Comme spectateur, je me suis senti solidaire du désespoir de ces parents dignes et meurtris, à qui l’on ne propose aucune solution. Furieux de tant de laxisme, ébranlé par ce que subissent ces enfants, simplement parce qu’ils sont différents.

« Des gens que nous côtoyions depuis des années ne nous adressent plus la parole depuis que notre fille a fait son coming out », raconte le père d’une adolescente ostracisée autant par ses camarades de classe que par ses professeurs dans un village de l’Oklahoma. « On nous a appris à l’église qu’être gai était un péché. Avoir un enfant homosexuel remet les choses en perspective », dit sa mère. Les discours rétrogrades sur l’homosexualité se font malheureusement entendre à l’extérieur de la Bible Belt américaine...

« Je trouve difficile de me faire des amis », avoue Alex, parfaitement lucide, au premier jour de son année scolaire, appréhendant le pire. Même ainsi averti, le spectateur ne peut imaginer ce qu’il va découvrir à l’écran. Alex se faisant humilier, verbalement et physiquement, devant les caméras. Non, ceci n’est pas une fiction.

Je me suis même demandé si ses tortionnaires, qui le frappent, l’insultent et le blessent à coup de stylos, n’en avaient pas ajouté une couche pour le documentaire de Lee Hirsch. Devant tant de violence gratuite, craignant pour la sécurité d’Alex, le cinéaste a dû interrompre son tournage pour montrer ces images troublantes à la direction de l’école et aux parents.

« Si ceux-là ne sont pas mes amis, qui sont mes amis ? », demande candidement Alex à sa mère, stupéfaite de découvrir son fils, de plus en plus enfermé dans son mutisme, souffrant du syndrome de Stockholm. En voyant tous ces jeunes en intimider un autre à visage découvert, je me suis demandé de mon côté comment ils pouvaient être aussi insensibles. Non seulement à la détresse de ce préadolescent maladroit, mais aussi aux caméras qui rendent compte de tous leurs actes.

Par quelle logique tordue en est-on arrivé à trouver acceptable, même à 14 ou 15 ans, de menacer quelqu’un de mort, en l’humiliant et en le frappant, devant une caméra ? Par exhibitionnisme ? Par désir de se voir agir en mammifère dominant ? Par soif de reconnaissance publique ?

Il faut dire que nous vivons à une époque qui non seulement tolère l’humiliation, mais l’encourage. Lorsque je constate l’intérêt que suscite une téléréalité comme Occupation double, qui repose essentiellement sur l’humiliation de concurrents à peine mieux traités que des animaux en cage, je me dis que l’on participe à cette désensibilisation collective face à l’humiliation.

Que l’on ne s’étonne pas ensuite de voir un modèle que l’on exploite sans gêne, sous prétexte qu’il s’agit d’un divertissement entre adultes consentants, être reproduit dans les cours d’école. Avec les conséquences tragiques que l’on sait.