Il y avait un groupe d’adolescents qui chahutait, derrière moi, au Théâtre Croisette. Et une vieille dame à mes côtés qui n’en finissait plus de soupirer et de se retourner, en les fusillant du regard. Ce qui ne faisait que les encourager davantage au tapage. Jolie spirale. Bonjour l’ambiance.

À la Quinzaine des réalisateurs, section parallèle du Festival de Cannes, le «vrai public» se mêle à celui des festivaliers, contrairement à la sélection officielle où seuls sont admis les professionnels du cinéma. Et c’est souvent plus coloré. Pour le meilleur et pour le pire.

Ils étaient plusieurs adolescents hier matin, accompagnés par leurs professeurs, à avoir investi le quartier général de la Quinzaine des réalisateurs afin de découvrir son film d’ouverture, The We and The I, du Français américanophile Michel Gondry (Eternal Sunshine of The Spotless Mind, La science des rêves).

Le très éclectique cinéaste de 49 ans, qui s’est fait connaître par ses vidéoclips de chansons de Björk, Radiohead ou encore The White Stripes, change une nouvelle fois de registre avec ce film de fiction partiellement improvisé par des acteurs non professionnels, jouant leur propre rôle le temps d’un trajet d’autobus dans le Bronx.

Après le blockbuster The Green Hornet, très mal accueilli par la critique, Gondry s’attaque à un film à petit budget, qui pourrait presque passer pour un projet étudiant tellement il est minimaliste sur le plan formel.

Tout se passe en huis clos dans cet autobus sillonnant le sud du Bronx, pendant 1 h 45, le temps que la dynamique de groupe, surtout constitué d’adolescents noirs bruyants et insolents (entre autres à l’égard d’une vieille dame…), se transforme. De la fanfaronnade et de l’intimidation, le récit verse progressivement dans l’intimité, abordant des thématiques chères aux adolescents: amitiés, amours, sexualité.

Ce projet atypique – comme le sont souvent les projets de Gondry – emprunte aux codes de la téléréalité et s’inspire d’une idée qui lui est venue il y a 20 ans, en prenant un autobus avec des adolescents turbulents dans le 15e arrondissement de Paris.
«C’était la sortie des classes et une vingtaine de jeunes sont montés, créant le chaos, un comportement lié à leur nombre et à l’évolution dynamique du groupe», a expliqué le cinéaste à l’issue de la projection d’hier.

Gondry, qui habite désormais New York, a recruté ses acteurs parmi les étudiants d’un programme parascolaire consacré aux arts, dans le Bronx. Il a mis sur pied un atelier de théâtre et des rôles dans le film ont été proposés aux 40 premiers inscrits. C’est en s’inspirant de leur quotidien qu’il a écrit un canevas de scénario.

«Le tournage de Green Hornet a ralenti le processus, qui s’est étalé sur deux ans, dit-il. On a presque abandonné. Je revenais les voir régulièrement, pour superviser les répétitions. À la fin, j’ai constaté qu’ils avaient plus de maturité et qu’ils avaient digéré une partie de leur vie, qu’ils allaient raconter.»

Huit jeunes acteurs accompagnaient Gondry sur scène hier. «J’ai l’impression d’être une personne différente aujourd’hui, meilleure, plus forte», dit l’un d’eux (Michael). Le jeu de ces acteurs amateurs est forcément inégal, mais parfois saisissant de vérité: en particulier cette scène de rupture émouvante entre deux garçons homosexuels.

La somme des qualités de The We and The I, qui n’est pas sans rappeler Do The Right Thing pour son utilisation de la musique (Bust A Move de Young MC, entre autres), n’est malheureusement pas suffisante pour faire oublier ses nombreux défauts. Si bien que l’on se demande ce que Gondry nous réserve à l’avenir, avec son projet d’adaptation de L’écume des jours de Boris Vian (mettant en vedette Audrey Tautou et Romain Duris) et son film d’animation sur Noam Chomsky

Les adolescents derrière moi n’ont pas semblé déroutés par la nature brouillonne de cette œuvre brute, qui les a souvent fait réagir. Ils se sont tus, les yeux écarquillés, en voyant les acteurs du film quitter leurs sièges, à quelques rangées, pour monter sur scène. Et la vieille dame a enfin cessé de soupirer.

Une «nouvelle» Quinzaine

L’ancien critique de Libération et nouveau délégué général de la Quinzaine des réalisateurs, Edouard Waintrop, a convié à dîner hier quelques journalistes et dirigeants de festivals (dont Claude Chamberlan du Festival du nouveau cinéma) sur une terrasse en bord de mer. Aparté: oui, il fait beau à Cannes.

La 44e Quinzaine des réalisateurs espère être celle d’une nouvelle stabilité pour l’événement, après le passage houleux du prédécesseur d’Edouard Waintrop, Frédéric Boyer, très critiqué après une programmation décevante il y a un an et licencié après deux années seulement.

Edouard Waintrop, qui s’est allié une toute nouvelle équipe de programmation, dit vouloir retrouver l’esprit des contestataires de 1968, qui ont voulu créer un événement présentant un «autre cinéma». Dans la foulée des soulèvements étudiants de mai 1968, François Truffaut, Jean-Luc Godard et autres Claude Lelouch avaient fait annuler le Festival de Cannes et mis sur pied, un an plus tard, la Quinzaine des réalisateurs.

L’événement présente jusqu’au 26 mai 19 longs métrages et dix courts métrages, dont Avec Jeff, à moto de la Québécoise Marie-Ève Juste. Une ancienne stagiaire de La Presse.