Une tête de vache sectionnée et sanglante, déposée sur le sol, attire des centaines de mouches, dans une cage de verre. Les mouches naissent dans un nid, à même la cage, et meurent pour la plupart électrocutées, sur une lampe bleutée.

A Thousand Years (1990), installation représentant le cycle de la vie et de la mort - thème central de l'oeuvre du Britannique Damien Hirst - donne le ton à la première rétrospective muséale consacrée au «plus riche artiste visuel de la planète» (marque déposée).

Depuis une semaine, la prestigieuse Tate Modern de Londres présente, jusqu'au 9 septembre, plus de 70 oeuvres parmi les plus connues de l'enfant terrible de l'art conceptuel. Ses Spot Paintings (rangées de points colorés), ses mosaïques de papillons ou son célèbre crâne humain serti de 8601 diamants, d'une valeur de plus de 100 millions de dollars, l'oeuvre la plus coûteuse jamais produite...

Damien Hirst fait dans l'excès et la surenchère. La Tate Modern retrace le parcours de l'artiste controversé de 46 ans, en présentant des oeuvres de sa première exposition très remarquée, Freeze, en 1988, dans un vieil entrepôt des docks londoniens, jusqu'à ce crâne en platine couvert de diamants, créé en 2007.

Au coeur de la rétrospective, des oeuvres phares telles que ce requin suspendu dans une cuve vitrée de formol (The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living, 1991) ou cette vache et ce veau coupés en deux sur la longueur (Mother and Child Divided, 1993), dont on peut observer les entrailles.

Des oeuvres inspirées par le travail de Francis Bacon, dont Damien Hirst se réclame, et qui ont fait la renommée du chef de file des «Young British Artists» lorsqu'il n'avait pas encore 30 ans. Il avait déclaré, à l'époque, qu'il n'accepterait jamais d'être exposé dans un musée comme la Tate. Ne jamais dire jamais...

De la pièce débordant d'instruments de chirurgie à l'immense cendrier rempli de mégots de cigarettes et de cendres évoquant des restes humains, la fascination morbide de Damien Hirst est soulignée à gros traits dans cette exposition plus spectaculaire que subtile. La marque de commerce, très rentable, de l'artiste.

Une brebis, des poissons ou une colombe en plein vol fixées dans le formol, un grand tableau fait d'une couche de milliers de mouches mortes, tout est mis en place afin de rappeler au visiteur sa propre mortalité.

Les critiques d'art britanniques n'ont pas été tendres envers cette rétrospective de Hirst. On lui reproche de se répéter, de surfer sur de vieux concepts et de vouloir s'enrichir davantage en vendant une multitude de produits dérivés à fort prix à la boutique du musée.

À 15 000$, les assiettes en porcelaine à motifs de papillons sont en effet chères la douzaine. Sans compter les crânes en plastique multicolores, qui se détaillent à près de 60 000$. Non, je n'ai pas rapporté de souvenir...

«Damien Hirst n'est pas un artiste, a écrit Julian Spalding dans The Independent. Ses oeuvres sont dénuées de contenu artistique et sont sans valeur artistique. Elles sont conséquemment sans valeur financière.» L'auteur de Con Art: Pourquoi vous devriez vendre vos Damien Hirst tant qu'il est encore temps a carrément été déclaré persona non grata à la Tate Modern la semaine dernière. Il s'y était rendu afin de manifester contre Hirst, qu'il considère comme un charlatan.

Et le sempiternel débat autour de Damien Hirst de reprendre de plus belle: fait-il de l'art ou du commerce? Est-il un artiste de génie ou un génie du marketing? Un peu des deux sans doute.

Cet homme qui défoule les passions des exégètes de l'art, excite les collectionneurs et fascine la presse à potins a beau ne plus surprendre autant qu'avant, ses oeuvres ne sont certainement pas sans intérêt.

Ses détracteurs ne semblent pas en vouloir autant aux oeuvres de Hirst elles-mêmes qu'au succès de leur auteur, à sa personnalité abrasive et à son influence indue sur le marché de l'art. On est forcément suspect, semble-t-il, lorsqu'on est un artiste et que l'on «vaut» quelque 340 millions.

Il est vrai que Damien Hirst emploie des méthodes pour le moins discutables. On l'a accusé de faire mousser sa cote (en déclin) en rachetant lui-même ses propres oeuvres, lorsqu'il ne les vend pas pour des sommes record chez Sotheby's, en se passant d'intermédiaires.

Les reproductions de ses Spot Paintings se vendent par milliers d'exemplaires à plus d'un demi-million de dollars. Et quelque 160 employés exécutent des oeuvres pour son compte. De l'art comme du travail à la chaîne. Ou comme une recette de grand chef qui ne travaille plus en cuisine...

Il y a du clinquant et du tape-à-l'oeil de nouveau riche dans le travail récent de Damien Hirst, qui ne semble pas s'être beaucoup renouvelé. La plus éloquente démonstration en est sans doute cette pharmacie dorée où s'entassent 30 000 diamants, dérivée de l'oeuvre Lullaby, The Seasons (2002), plus inspirée, qui reproduit les teintes des saisons grâce à l'effet miroir de pilules multicolores disposées dans une armoire de pharmacie.

On reproche essentiellement à Damien Hirst d'être devenu avec les années un publicitaire - de ses propres oeuvres - et un homme d'affaires davantage qu'un artiste. La rétrospective de la Tate Modern, qui expose les limites de ses thématiques, ne nie pas la prétention ni les ambitions (entre autres mercantiles) de Hirst.

Il reste qu'à l'évidence, Damien Hirst a une vision, un sens de l'esthétisme, voire de grandes idées. Et qu'il est, qu'on le veuille ou non, pour le meilleur et pour le pire, un artiste. Parmi les plus marquants de sa génération.

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