Lui est policier. Blanc. Canadien. Plutôt ouvert d'esprit. Elle est plus jeune que lui. Médecin de formation. Étrangère. Arabe. Musulmane. Il a été séduit par «le rythme berbère de ses hanches tunisiennes». Elle, par ses manières de gentilhomme et son pragmatisme vieille école.

Ils se sont mariés. Malgré la différence d'âge. Malgré le décalage culturel. Malgré les qu'en-dira-t-on, la désapprobation, les soupçons. Et ils sont restés ensemble. Malgré ses nombreux voyages à l'étranger, dans des pays musulmans, où elle trouvait des objets à vendre pour sa boutique d'artisanat. Malgré ce fameux soir-là, où une bombe a explosé dans une boîte de nuit et où elle n'était pas seule. Malgré tout.

Mais c'est le temps de passer aux aveux. Il y a eu un meurtre. «Commençons tout d'abord en reconnaissant l'éléphant dans l'ostie de magasin de porcelaine. Ma femme était musulmane. Oui, elle l'était, ma femme, ma Maha, était musulmane. Et tant qu'à y être, reconnaissons aussi un autre éléphant: on est en guerre. On l'est, oui. En guerre contre la terreur. Et un dernier éléphant: j'ai tué ma femme.»

La pièce II (Deux) de Mansel Robinson a été créée hier soir, à la Nouvelle Scène d'Ottawa. Dans une traduction de Jean Marc Dalpé, qui tient le rôle de Mercier, le policier, aux côtés d'Elkahna Talbi. Cette pièce troublante devrait être présentée à l'automne, à Montréal et au Québec.

J'ai lu II (Deux), qui vient d'être publié aux Éditions Prise de parole, et j'ai été remué par ce texte cru, évocateur, subtilement subversif, qui s'intéresse au germe de la paranoïa et à notre peur collective de «l'autre».

Cette peur collective et cette paranoïa dont transpire ce début de printemps québécois. Dans son délire antireligieux. Dans sa dérive islamophobe. Dans sa récupération politique d'un discours nationaliste identitaire venu d'ailleurs. Dans toute l'hypocrisie d'un certain courant médiatique, qui se drape de laïcité pour mieux dissimuler son intolérance. En tentant de nous convaincre que l'intolérance de toutes les religions est plus acceptable que l'intolérance d'une seule.

Une peur et une paranoïa brillamment incarnées par les confessions parallèles de cette femme déracinée, en manque de repères, et de cet homme de bonne foi qui, à force de taquineries puis de mesquineries et d'insinuations, en vient à croire, comme son entourage, que sa Maha est une terroriste. Parce qu'elle est musulmane. Parce qu'elle est secrète. Parce qu'elle est de l'autre camp. Et qu'elle lui ment.

Cette pièce de l'Ontarien Mansel Robinson est une charge percutante, tragiquement pertinente. Un doigt accusateur dirigé vers l'Occident qui, par ses raccourcis intellectuels, sa propension au sophisme, ses demi-vérités, a réussi à se convaincre qu'Islam et terrorisme sont synonymes. Pas seulement les États-Unis du Parti républicain. Pas seulement La France du FN. Pas seulement les autres. «Nous» aussi. Il n'y a qu'à écouter un peu la radio - le midi préférablement - pour s'en convaincre. «Mansel Robinson a ramené ça au quotidien d'un homme plutôt que d'en faire un discours politique. Pour montrer comment ce climat de paranoïa peut miner quelqu'un, le ronger, le tordre et finir par en faire un «monstre»», dit son traducteur Jean Marc Dalpé, qui a aussi signé récemment l'excellente adaptation de L'opéra de quat'sous, mis en scène par Brigitte Haentjens à l'Usine C.

Lui-même un dramaturge d'origine ontarienne, Jean Marc Dalpé, qui a traduit et joué d'autres pièces de Robinson (Trains fantômes, Slague), se sent de profondes affinités avec l'auteur de Chapleau, dans le nord de l'Ontario. «Sa colère est la mienne, dit Dalpé. Il réagit avec colère au monde qui l'entoure. À la paranoïa, à la xénophobie, à l'islamophobie, au racisme.»

Les deux auteurs ne sont heureusement pas seuls. La metteure en scène Geneviève Pineault, en découvrant le texte, a été «choquée, presque honteuse qu'une fiction soit si vraisemblable. Stupéfaite de voir comment cette guerre au terrorisme nous pousse insidieusement à chercher le mal chez l'autre, et comment elle mène au mensonge et à l'aveuglement».

Moi aussi. J'ai vu dans II (Deux) une métaphore d'une intolérance collective devenue socialement acceptable depuis une décennie. D'une méfiance convenue du musulman dans les sociétés occidentales.

Une métaphore de notre haine et de notre ignorance. Des dérives d'un discours populiste qui finit par s'inscrire en nous, malgré nous, à force d'être martelé par des gens, de plus en plus nombreux, qui parlent fort. Dans les journaux, à la radio, à la télévision, dans les arènes politiques. Sans prendre conscience de la responsabilité de leur parole.

J'ai vu dans cette pièce, qui conjugue le beau et le laid, la cristallisation dans l'art d'un état d'esprit inquiétant.

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