Les médecins omnipraticiens du Québec sont blessés par des dialogues de l'émission Trauma, écrivait hier ma collègue Gabrielle Duchaine. Et accusent l'auteure Fabienne Larouche de véhiculer des préjugés sur la médecine familiale.

Dans un récent épisode de la fiction médicale de Radio-Canada, la directrice générale d'un hôpital, interprétée par Pascale Montpetit, apprend que sa fille (Laurence Leboeuf), une résidente en chirurgie, veut devenir omnipraticienne.

«On ne soigne pas des rhumes quand on peut réparer des organes, à moins d'être une ratée», lui dit-elle. «Sophie veut devenir médecin de famille; pourquoi pas faire des ménages?» dit-elle encore à un collègue.

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec a très peu apprécié ces répliques qui, selon elle, perpétuent des stéréotypes méprisants sur la médecine familiale. Fabienne Larouche se défend de vouloir dévaloriser le travail des omnipraticiens, en soutenant qu'elle ne fait pas de l'éditorial et qu'il ne faut pas confondre réalité et fiction.

Une télésérie n'a certainement pas l'obligation de faire la promotion d'une profession. Les auteurs de fiction devraient pouvoir profiter d'une liberté de création qui les affranchit des pressions de corps professionnels. Diane Hevey (Pascale Montpetit) est une femme troublée, amère, castrante. On ne s'étonne pas qu'elle tienne ce type de discours réducteur sur les médecins généralistes. Il s'agit d'un personnage fictif. Les omnipraticiens seraient-ils susceptibles?

Marc Zaffran, qui est à la fois médecin, écrivain (entre autres sous le pseudonyme de Martin Winckler) et critique de télévision, ne le croit pas. «Les médecins de famille sont sous-estimés et travaillent dans des conditions aussi difficiles et plus variées que les spécialistes. Dire qu'ils ne savent soigner que des rhumes est insultant. Ils ont raison de protester», estime l'auteur de Profession: médecin de famille, qui vient de paraître aux Presses de l'Université de Montréal, où il est chercheur invité.

Marc Zaffran trouve tout aussi insultant pour les téléspectateurs et les autres auteurs que Fabienne Larouche brandisse l'argument de la fiction pour se déresponsabiliser des paroles de ses personnages. «Il n'y a pas de contrepoids au discours de la directrice générale, dit-il. Aucun personnage pour répondre: ce que tu racontes, c'est des conneries. À partir du moment où il n'y a pas de débat, le discours n'est pas modulé autrement que par l'auteur. Il faut qu'il y ait une position morale face au personnage. Ce discours ne pouvait être pris que de travers.»

C'est sur le plan éthique, intimement lié à la pratique de la médecine, que Marc Zaffran trouve que la description du médecin de famille dans Trauma pose problème. «C'est la posture de l'auteure que je trouve inacceptable, dit-il. On ne peut pas dire que c'est juste de la fiction. C'est prendre les téléspectateurs pour des niais. Toute fiction a un point de vue moral. Dans une série mélodramatique censée représenter la réalité, dire ce genre de choses, sans opposition, c'est un déni de réalité. La fiction n'est pas seulement un truc pour amuser les gens.»

Il est en effet paradoxal d'entendre Fabienne Larouche rappeler qu'il ne faut pas confondre réalité et fiction alors que l'on a rarement vu un scénariste québécois s'inspirer autant de la réalité pour nourrir ses oeuvres de fiction.

Depuis deux épisodes, le plus récent intitulé Tendresse et cruauté, le scénario de Trauma s'est clairement inspiré du crime de Guy Turcotte. Les ressemblances sont frappantes, sinon que l'homme qui s'en prend à ses enfants, après une séparation difficile, est avocat plutôt que médecin...

Cette semaine, dans l'autre série radio-canadienne de Fabienne Larouche, 30 Vies, l'intrigue rappelait l'histoire de la jeune Marjorie Raymond, qui s'est suicidée l'automne dernier après des années d'intimidation.

D'un côté, Fabienne Larouche se déresponsabilise en clamant que ses intrigues sont de la pure fiction; de l'autre, elle vampirise l'actualité pour mieux meubler ses intrigues. La confusion est possible. On ne s'étonne pas d'apprendre que certains patients aient refusé de se faire soigner par des médecins résidents parce qu'ils avaient trouvé que le portrait que l'on faisait d'eux dans Trauma n'était pas avantageux.

Il est bien sûr question d'une oeuvre de fiction. Trauma n'est certainement pas une représentation très crédible du milieu hospitalier. C'est une série aux dialogues truffés de clichés où un drame n'attend pas l'autre. Quand une résidente n'est pas violée par un patient, sa collègue est poignardée avec une paire de ciseaux par un préposé. Trauma est, du propre aveu de Fabienne Larouche, une télésérie caricaturale.

Il reste que la liberté de création et la licence de l'auteur de fiction ne sauraient l'exempter de toute forme de responsabilité. Contrairement à ce que prétend Fabienne Larouche, elle fait bel et bien de l'éditorial dans Trauma. Lorsque, à propos d'un journaliste de tabloïd, le personnage de Pascale Montpetit dit qu'on a besoin d'information populaire «parce que c'est le peuple qui nous fait vivre», c'est la pensée de l'auteure qui s'exprime.

«L'auteur de fiction a le devoir de dire la vérité, croit Marc Zaffran, lui-même romancier à succès. Malheureusement pour Fabienne Larouche, elle a le grand désavantage avec Trauma de ne pas savoir de quoi elle parle...»

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