Rester authentique dans sa démarche artistique. S'il y a un conseil que les psychologues peuvent donner à un artiste qui a connu un échec ou un passage à vide, c'est celui-là.

L'époque est au succès instantané. Les candidats de Star Académie se retrouvent du jour au lendemain à l'avant-scène, devant quelque deux millions de téléspectateurs. On fait miroiter la lune à ces chanteurs amateurs. Pour une minorité, il s'agira d'une fabuleuse rampe de lancement. Pour la plupart, ce sera le moment fort d'une carrière qui n'ira malheureusement qu'en déclinant.

«Il n'y a pas de livre d'instructions sur comment gérer son succès», rappelle le psychologue Bruno Ouellette, qui travaille entre autres avec des artistes et des athlètes de haut niveau. «Les concurrents d'émissions comme Star Académie n'ont pas la chance d'apprivoiser la célébrité. Ils sont parachutés devant les projecteurs. Ce n'est pas une célébrité méritée.»

La psychologue Nathalie Lacaille, qui enseigne la psychologie de la performance artistique à la faculté de musique de l'Université de Montréal, fait un parallèle entre l'expérience que vivent les chanteurs de Star Académie et les gymnastes qui se préparent aux Jeux olympiques. «Combien de jeunes sacrifiés pour obtenir une médaille?», demande-t-elle.

«En musique populaire, dit la psychologue, ce n'est pas tant l'individu qui compte que l'argent qu'il peut faire rapporter en peu de temps. Les chanteurs sont interchangeables. L'un prend la place de l'autre sans que le public ne s'en formalise. C'est un piège dangereux. Ceux qui retombent dans l'oubli vivent souvent une forme de honte.»

Comment garder la tête froide lorsque, à 24 ou 30 ans, l'on n'est déjà plus la «saveur du moment» d'une industrie ingrate qui se lasse, comme du reste le public, de ses idoles après un ou deux albums?

«Plusieurs passent instantanément d'inconnu à vedette, avec une machine derrière qui leur bâtit une image, constate Bruno Ouellette. Lorsqu'ils deviennent célèbres, ils se préoccupent souvent de ce que les gens pensent d'eux. Ils peuvent développer une passion obsessive pour tout ce qui touche au succès, aux ventes, à la critique. La descente peut être longue et pénible. Certains ne s'en remettent pas.»

Rose-Marie Charest, présidente de l'Ordre des psychologues du Québec, se sert souvent de l'image de la poupée russe pour illustrer le danger du succès instantané. «La seule poupée qui est solide, c'est la plus petite. Les plus grosses poupées sont fragiles, surtout si elles ne peuvent pas s'appuyer sur la plus petite.»

Comment survivre, comme artiste, à l'inévitable ressac qui accompagne un succès populaire? Aux années de disette et de remise en question? «Ce qui aide les artistes, c'est de donner un sens à ce qui leur arrive, croit Bruno Ouellette. De se rappeler qu'ils ne font pas de la musique que pour leur public, mais d'abord pour eux, par passion.»

La question fondamentale que les artistes doivent se poser, selon le psychologue, est la suivante: être ou paraître? «C'est l'écart entre l'image que l'on projette et ce que l'on est réellement qui est parfois difficile à concilier, dit-il. Les jeunes artistes doivent bien identifier qui ils sont. Sinon, ils risquent de se perdre dans les standards auxquels l'industrie veut les identifier. Dans une société qui valorise le résultat et le dépassement de soi, il faut bien s'entourer de gens sur qui l'on peut compter, qui ne sont pas là seulement pour des raisons économiques. Quand les artistes se retrouvent seuls après un grand succès, c'est là que c'est le plus difficile. Il faut qu'ils soient soutenus par les bonnes personnes, pour les bonnes raisons.»

Rose-Marie Charest donne l'exemple de Céline Dion, qui a été encouragée et conseillée depuis le début de sa carrière par sa mère et par son mari, René Angélil. «Céline Dion a été bien entourée. Elle est restée en contact avec ce qu'elle est réellement. Elle n'a pas été fragilisée par le succès.

Elle ne se définit pas que par les apparences. Il est très tentant, pour un artiste qui connaît la popularité, de se valoriser par les apparences.»

Le succès a bien sûr de nombreuses conséquences positives, entre autres sur l'estime de soi, constate Rose-Marie Charest. Surtout lorsqu'il est à la mesure du talent d'un artiste. «Le succès contribue à notre image. Sauf qu'aujourd'hui, avec Facebook par exemple, on se définit très jeune par l'image que l'on projette. La réelle estime de soi est la racine de ce que l'on est comme personne. Et l'on n'est pas seulement une image.»

«Notre société divise les gens entre gagnants et perdants, remarque Nathalie Lacaille. N'importe qui dont le visage est à la télé passe pour quelqu'un qui réussit. Le succès gonfle l'ego. Pour une personne qui a confiance en elle de façon saine, dont l'estime de soi n'est pas seulement construite sur la reconnaissance des autres, retourner dans l'ombre sera moins difficile. Pour les autres, qui sont adulées tout d'un coup, ne plus avoir de succès peut donner l'impression de ne plus rien valoir.»

La meilleure façon pour un artiste de durer, et de survivre à la fois au succès et à l'échec, c'est que sa démarche soit authentique et personnelle, croit le psychothérapeute Michel Brais. «Plus un artiste se trouve dans une logique où il veut combler les attentes des autres, plus il sera difficile pour lui de se remettre d'un échec.»