On ne peut s'empêcher de trouver que l'on presse le citron. Parce qu'Amy Winehouse est morte il y a moins de cinq mois. Parce qu'un nouvel album de ses chansons n'était pas encore en chantier. Que les tiroirs étaient pratiquement vides. Et qu'il semble y avoir bien des livres sterling à faire sur le compte de sa mémoire, avant que la poussière ne soit retombée.

Un album posthume de la chanteuse néo-soul britannique, Lioness: Hidden Treasures, vient de paraître. Un disque à la fois étrange et désarmant, fait de restants, assemblé comme un collage d'éléments disparates dont on aurait forcé le mariage. Mais dont on ne peut ignorer le liant: cette voix cuivrée au souffle sulfureux, burinée dans un matériau riche d'une autre époque.

Amy Winehouse est morte le 23 juillet d'avoir trop bien porté son nom. Retrouvée dans son appartement londonien, fatalement intoxiquée. Elle n'avait que 27 ans. Symbole du nouveau R&B façon Motown, mâtiné d'accents hip-hop, devenue vamp trash, bambocheuse du bout de la nuit, nourrissant malgré elle les paparazzi entre deux cures de désintoxication.

Il y a eu Frank, premier amour frondeur et prometteur, en 2003. Puis Back To Black, l'album de la consécration, trois ans plus tard, qui en a fait une véritable star. Depuis, Amy Winehouse ne semblait plus vivre que par procuration, à travers la loupe malsaine de la presse à sensation (et ses infinies déclinaisons du web). Clown triste de son propre cirque médiatique. Un train dans la nuit, filant à pleine vitesse vers un mur.

Elle est morte plus connue pour ses frasques adolescentes, ses mauvaises fréquentations, sa consommation de drogues et d'alcool, que pour sa musique. Même si Back To Black, magnifique collection de pièces intemporelles, lauréat de cinq prix Grammy, s'est vendu à des millions d'exemplaires dans les semaines qui ont suivi sa surdose éthylique.

Cet été, j'ai trouvé plus que douteux que bien des radios fassent tourner en boucle Rehab, l'un de ses plus grands succès, pendant des jours après son décès. «They tried to make me go to rehab/I said, No, no, no». Quand l'hommage, par son contexte, frôle l'indécence.

On se pose la même question ici. J'étais sceptique, pour ne pas dire suspicieux, de cet album posthume réalisé par ses collaborateurs Salaam Remi et Mark Ronson. Je le suis toujours. Parce que peu importe de quel angle on l'aborde, il y a un drame, indissociable de cette parution de disque, sur lequel on semble vouloir tabler.

Parmi les 12 chansons de Lioness: Hidden Treasures, pour la plupart des standards ou des reprises, on trouve peu de «trésors cachés». Des pièces jugées inadéquates pour ses deux précédents albums - on comprend parfois pourquoi - et des relectures de classiques des années 60.

Dans le lot des inédits, l'autobiographique Between The Cheats, avec ses arrangements doo-wop, se présente comme une déclaration de fidélité à son mari controversé, Blake Fielder-Civil, enregistrée en 2008 avant la peine d'emprisonnement de ce dernier. La détresse de la chanteuse se lit dans ces rimes souvent maladroites. Like Smoke, avec le rappeur Nas, alliage difficile d'éléments modernes et rétro, n'a pas la grâce de Body and Soul, duo avec le Tony Bennett, enregistré en mars dernier et endisqué récemment par le crooner.

On ne s'étonne pas d'apprendre que Half Time, avec ses arrangements kitsch, tout comme Best Friends, right?, datent de l'époque de Frank (qui versait parfois du côté rose bonbon de la force). En revanche, Our Day Will Come, enregistrée en 2002, aux influences reggae, est l'une des pièces les plus abouties de l'album. Ces morceaux, ainsi rassemblés, détonnent, à l'image d'un album inégal, sans réelle cohérence.

Pour une relecture originale et inspirée de Will You Still Love Me Tomorrow de Gerry Goffin et Carole King, popularisée par les Shirelles, on nous propose une Girl From Ipanema ratée, tout en percussions trop franches et en jeux vocaux insistants, sans la moindre trace de la sensualité indolente d'Astrud Gilberto.

Il y a certes un intérêt, pour les admirateurs d'Amy Winehouse, à découvrir les versions embryonnaires de Tears Dry (On their Own) et de Wake Up Alone, plus posées que celles de Back To Black. La voix de la jeune chanteuse y est à l'avant-plan, dépouillée, parfaitement modulée et incarnée, sans esbroufe. Une voix à la fois sombre et lumineuse, disparue trop tôt. Et dont on ne perçoit malheureusement, sur cet album posthume, que l'ombre pâle.