Premier rendez-vous galant entre un homme et une femme, à Paris. «Blind date», comme on dit en région francilienne. Il est séduit par la belle brune qui se trouve devant lui.

Leurs fiches sur un site de rencontre ont laissé présager un match parfait. Il prend les devants de la conversation. Elle sourit, acquiesce en faisant signe de la tête. Puis elle ouvre la bouche et le charme est rompu.

Elle a, voyez-vous, un accent québécois. Et il n'existe, semble-t-il - Thierry Ardisson peut en témoigner -, rien de moins sexy sur la planète après le cri strident de la corneille d'Amérique.

J'ai vu ce sketch des humoristes Pascal Légitimus et Mathilda May, tiré du spectacle Plus si affinités, à la télévision française pendant mes vacances. Il n'y a évidemment pas que l'accent québécois qui sert de matériel comique à cette pièce populaire sur la rencontre amoureuse. Celui des banlieues, du Midi et des Antilles sont tout autant tournés en dérision. Le duo se moque de tous, sans distinction.

«On dit tout haut ce que les gens n'osent même pas dire tout bas», dit Pascal Légitimus, qui s'est fait connaître dans les années 90 au sein du groupe d'humoristes Les Inconnus.

L'accent québécois, dans cette caricature soulignée à gros traits, est un condensé de tous les pires préjugés français sur notre langue: argot paysan limité, d'une autre époque, sans grâce et sans sex-appeal.

On s'entend. Il s'agit d'un spectacle d'humour. Pas de Thierry Ardisson qui souffle à l'oreille de Nelly Arcan, de manière à ce que des millions de téléspectateurs puissent l'entendre, qu'«on ne parle plus comme ça depuis le XVIIIe siècle». Il faut savoir rire de soi (et de ses complexes, oui je sais).

Il reste que je me suis entendu soupirer, en entendant Mathilda May exagérer les «lââââ» sur un ton nasillard: «On en est encore là?» À faire les frais de jokes condescendantes sur notre accent (on le leur rend bien, aux Français, remarquez). À devoir justifier notre façon de distinguer la prononciation du «ai» («é») et du «ais» («è»). («Je t'aimais, je t'aime et je t'aimerai», chanté comme Cabrel, on dirait du conditionnel. Oui, mais l'aimes-tu vraiment Francis?)

J'ai surtout trouvé paradoxal de constater que l'un des humoristes les plus populaires en France, et le Québécois le plus visible en ce moment dans la sphère médiatique, est Stéphane Rousseau. Stéphane Rousseau qui rime en France avec sex-appeal (il insiste beaucoup là-dessus lui-même), qui ne masque pas le moindrement son accent québécois et qui, ironiquement, a été lancé à Paris par Pascal Légitimus.

Rousseau que j'avais vu la veille, sur la même chaîne, livrer ses Confessions avec seulement une poignée de compromis sur les expressions québécoises. Qui connaît en France un succès authentique (il sera trois soirs à l'Olympia de Paris en octobre), malgré le fait que l'humour soit un art qui s'exporte difficilement. Et à qui le cinéma français fait de l'oeil depuis le succès des Invasions barbares.

Un soir, je vois Stéphane Rousseau faire rire les Français et charmer les Françaises, sans compromis. Et je me dis qu'à force, les Français ont fini par se faire l'oreille, que notre accent n'est plus qu'un détail exotique. Le lendemain, deux humoristes français laissent entendre qu'il n'y a rien de plus rébarbatif que l'accent d'une Québécoise et je me dis plutôt: ben cou'donc, ç'a pas d'l'air.

French twist

On ne comptait plus, il y a quelques années, les vannes d'humoristes et de commentateurs français sur nos «chanteurs à voix», envoyés inonder les ondes radiophoniques françaises parce qu'on n'en voulait plus nous-mêmes. (Ce n'est peut-être pas faux.)

J'ai passé deux mois en France cet été, contraint à un douloureux régime de radio commerciale. J'ose affirmer, sans preuves statistiques à l'appui, que l'âge d'or du chanteur à voix québécois en France est révolu. Sur la plupart des chaînes, qui, bizarrement, diffusent en boucle la même cinquantaine de chansons - vieilles comme plus récentes -, je n'ai entendu qu'un seul titre de Céline Dion (son duo avec Garou, Sous le vent). That's it that's all, comme on dit chez Virgin Megastore.

Un peu de Coeur de pirate, que l'on ne saurait d'aucune manière qualifier de «chanteuse à voix», et très rarement la nouvelle toune de Simple Plan et de Marie-Mai, Jet Lag, qui se moule parfaitement à la pop française du moment (c'est-à-dire qu'elle est bilingue).

Entre deux vieux succès défraîchis de Daniel Balavoine (Tous les cris les S.O.S.) et les complaintes atroces de Mika, il n'y en a à la radio française que pour des tubes souvent mielleux dans nos deux langues officielles, alternant entre un refrain en anglais et des couplets en français, ou vice-versa. Le désir américain refoulé dans un accent parisien. Parfois, quand on se compare, en effet, on se console.

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