Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose, disait l'autre. Non, je ne parle pas de Stephen Harper. Je pourrais. Campagne oblige, le Parti conservateur a sorti de sa besace électorale toute demi-vérité pouvant lui servir à discréditer ses adversaires.

Celle, par exemple, voulant qu'il soit répréhensible que le Parti libéral, le NPD et le Bloc québécois se déclarent en faveur d'une «taxe» sur les iPod et autres appareils d'enregistrement numériques. Une publicité télévisée diffusée ces jours-ci insiste sur cette «hérésie», en tentant de faire passer Michael Ignatieff pour communiste, ou pis encore (si cela est possible aux yeux de l'électorat conservateur).

Les conservateurs, dans le domaine de la culture comme dans bien d'autres, préconisent «le retrait de l'État au profit de l'entreprise individuelle». Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le professeur de philosophie Christian Nadeau dans son essai Contre Harper, bref traité philosophique sur la révolution conservatrice (Boréal, 2010).

Christian Nadeau résume, succinctement et assez justement à mon sens, le point de vue général des conservateurs sur les artistes: «Puisque les artistes se définissent comme des trublions, qu'ils trouvent eux-mêmes de quoi survivre.»

C'est, de toute évidence, la philosophie du gouvernement Harper en matière de droit d'auteur. Le projet de loi C-32 sur la modernisation du droit d'auteur a beau être mort au feuilleton avec le déclenchement des élections, il ne sera certainement pas abandonné, dans son essence, par le prochain gouvernement s'il est conservateur, et a fortiori majoritaire.

On sait l'acharnement et l'aveuglement avec lesquels le gouvernement Harper mène ses politiques, envers et contre tous. Le projet de loi C-32 n'y a fait pas exception. Malgré une opposition quasi unanime, des partis d'opposition, des médias, des artistes, des juristes spécialisés en propriété intellectuelle, voire du Barreau du Québec, le gouvernement a persisté à défendre l'indéfendable: un projet de loi tellement bancal et ambigu, ouvrant la porte à tellement d'interprétations et d'exceptions, qu'il est pratiquement inapplicable.

Comment le gouvernement conservateur, s'il est réélu, compte-t-il compenser les pertes de revenus des artistes? En ne faisant rien du tout, c'est-à-dire en excluant les enregistreurs numériques du régime de copie privée.

Pourquoi défendre les intérêts d'artistes pour la plupart antipathiques aux idées du parti, quand on peut lécher les bottes de riches fabricants de baladeurs numériques et des fournisseurs d'accès internet, en faisant croire que c'est dans l'intérêt des consommateurs?

Pourquoi agir quand on peut rejeter le blâme sur l'opposition, favorable à une redevance, pas à une taxe? Entre la taxe et la redevance, il y a d'ailleurs une nuance sémantique, subtilement démagogique, allant dans le sens du message central de la campagne conservatrice: avec nous, vous paierez moins. M'est avis, au contraire, que cette élection risque de coûter très cher à tous ceux qui ont à coeur l'avenir de la culture.

Humour mordant

Loin de moi l'intention de m'immiscer dans un conflit qui ne me regarde pas. L'émission des Justiciers masqués, Le canal masqué, n'a pas été renouvelée pour une autre saison à Télé-Québec. Le duo d'humoriste blâme le diffuseur, l'accusant de censure. Le diffuseur renvoie la patate chaude au producteur, qui regrette la sortie intempestive des humoristes.

C'est vrai que ce faux bulletin d'information manquait de mordant, comme l'a souligné le directeur général des programmes de Télé-Québec, Martin Roy. Mais est-ce en raison, comme le disent Les Justiciers masqués, d'une trop grande intervention de tiers dans les textes? Qui sait.

Ce que je remarque, c'est que Les Justiciers masqués ne sont pas les seuls à se plaindre de la frilosité des diffuseurs en humour. Leurs doléances trouvent un écho ailleurs. D'autres humoristes et scripteurs d'émissions humoristiques, le plus souvent sous le couvert de l'anonymat, dénoncent aussi une tendance récente à l'uniformisation, l'aseptisation et à l'aplanissement des contenus comiques.

Pour un Marc Labrèche, «intouchable», qui se permet de dire tout haut ce que bien des gens pensent tout bas, en dénonçant subtilement la médiocrité ambiante et en écorchant tous azimuts ceux qui y contribuent, combien d'humoristes à qui l'on a retiré les crocs, de peur de déplaire à un large auditoire?

Certes, Jean-François Mercier peut se permettre bien des vulgarités (souvent comiques, en particulier en compagnie de Mike Ward) dans son personnage de «gros cave» à Un gars le soir (à V), mais c'est l'exception qui confirme la règle.

De façon générale, l'irrévérence a mauvaise presse, l'ironie fait fuir les diffuseurs, l'audace n'a plus la cote. Et l'on peut dire, sans nostalgie, que les limites acceptables de l'humour ne sont plus ce qu'elles étaient il y a 20, 15 ou même 10 ans. Encore plus, je crois, depuis que les scripteurs du Bye Bye ont eu la très mauvaise idée d'intégrer des gags sur Nathalie Simard en 2008.

Lorsque Radio-Canada a décidé de développer la série d'animation Vie de quartier, il y a sept ans, c'était en ayant en tête les succès des Simpsons et de Family Guy. La télévision publique a d'ailleurs présenté cette série mettant en vedette les personnages du Groupe sanguin comme «mordante». Elle est tout sauf mordante. Aux antipodes de l'humour grinçant d'American Dad, pourtant diffusée dans le même créneau horaire (à FOX).

Vie de quartier est une émission banale et insipide, ne s'adressant ni aux enfants ni à leurs parents. C'est d'autant plus désolant que l'animation devrait permettre une liberté dans le propos et la forme que ne permet pas une «comédie de situation» traditionnelle. Que s'est-il passé, en sept ans, pour que de l'idée irrévérencieuse de «Bougon en petits bonshommes», l'on soit passé aux Brillant en version animée?

Un cas isolé ou une tendance lourde? Y a-t-il toujours un espace de choix pour l'humour décapant à la télévision québécoise? Ne serons-nous bientôt bombardés que d'émissions consensuelles, ratissant le plus large public possible? À suire, comme dirait l'autre.