C'était, il faut le dire, un gala moins pic pic que celui des prix Génie (dur à battre), il y a quelques semaines. La 40e soirée des prix Juno a été animée de façon discrète et efficace, dimanche, par Drake, un ex-acteur de la série Degrassi devenu rappeur, dont le premier disque a fait fureur l'an dernier aux États-Unis.

On a vu bien pire, dans le passé, à la barre de la soirée strass et paillettes de la musique canadienne. Pamela Anderson, notamment, qui ne semblait pas en savoir davantage sur le rock canadien que sur l'historique du pays de Lester B. Pearson en matière de droit d'ingérence humanitaire.

Ce qui était identique, en revanche, aux galas des prix Juno et Génie, c'est cette manie toute canadienne de se gargariser de sirop d'érable «Canada de fantaisie» en public, en rappelant à chaque instant son attachement viscéral à ces quelques arpents de neige au nord du 49e parallèle, «a mari usque ad mare».

Pour marquer son 40e anniversaire, le gala des prix Juno a entre autres diffusé un montage de remerciements de certains de ses plus illustres anciens lauréats. Ils soulignaient tous, sans exception, que le Canada est le plus meilleur pays du monde où jouer de la guitare, de la basse, de la batterie et du kankangui béninois.

Oscar Peterson saluant les grands musiciens canadiens, Neil Young se disant fier d'être Canadien, Geddy Lee (de Rush) rappelant que le Canada est un merveilleux pays où travailler, Leonard Cohen déclarant, le sourire en coin, que c'est seulement dans un pays comme celui-ci qu'il peut espérer recevoir le prix du chanteur de l'année, Bryan Adams affirmant que le Canada est un bien beau pays où naître, les rockeurs poilus de Nickelback constatant que recevoir un prix chez soi fait plus plaisir qu'ailleurs dans le monde, etc. Canada, Canada, Canada. Toute cette charge patriotique en moins de 30 secondes. Ouf!

Comme si ce trop-plein d'amour national ne suffisait pas, Bryan Adams a présenté dans la foulée un prix à Shania Twain pour l'ensemble de sa carrière, faisant grimper le baromètre du chauvinisme à de nouveaux sommets. La «petite fille de Timmins, en Ontario», dans un élan particulièrement dégoulinant, a déclaré qu'elle était fière «du talent canadien» et qu'elle regrettait de ne pas avoir porté (en robe? en châle?) un drapeau canadien sur scène. Un peu plus et elle chantait spontanément l'hymne national a cappella.

«J'ai plus de fierté pour ce que ce pays a créé musicalement que je suis fière de moi-même. Je suis fière d'être du Canada. C'est un magnifique pays. J'adore nos lacs, j'adore notre brousse (?!!) et surtout, j'adore nos gens. Merci, Canada!» Non, je le rappelle, elle n'est pas en campagne électorale.

Ce que j'ai surtout perçu, dans son discours comme dans celui de bien d'autres, c'est ce fameux complexe identitaire canadien, qui s'exprime dans un besoin constant de se différencier de l'Autre. Comme si l'identité nationale canadienne, en particulier culturelle, se construisait non pas dans l'affirmation, mais dans la distinction par rapport à tout ce qui n'est pas américain.

Je ne dis pas que les Québécois sont moins chauvins que les Canadiens anglais. Ils le sont peut-être encore davantage. Cela se remarque dans notre excitation collective à entendre Arcade Fire prononcer trois mots en français au gala des Grammy ou à voir Denis Villeneuve fouler le tapis rouge des Oscars dans un complet de designer québécois.

Ce chauvinisme ne se déclare pourtant pas de la même manière que celui du ROC. Le Québec n'est certainement pas débarrassé de tous ses complexes, vis-à-vis de la France, des États-Unis ou même du reste du Canada, mais on n'entendrait pas un artiste québécois à qui l'on rend hommage s'épancher, pour l'essentiel de son discours, sur la beauté du paysage gaspésien ou sur la gentillesse des Saguenéens.

Le malaise identitaire canadien, celui des artistes canadiens en particulier, me semble plus profond. Il est doublé, à mon sens, d'un vieux complexe d'infériorité qui s'exprime de vive voix chaque fois que l'occasion se présente, dans une expression de canadianité tellement exacerbée que l'on en vient parfois à douter de son authenticité.

Pourquoi tous ces artistes, exilés ou pas, sentent-ils constamment le besoin de rappeler et d'embrasser publiquement leurs racines ontariennes ou manitobaines? Pour démentir un rapport ambigu à une culture nationale hésitante et mal définie?

Je n'en sais rien. Mais je remarque que, peut-être plus encore que le Québec, le Canada a besoin d'exister dans l'oeil de l'autre pour se faire valoir. C'est peut-être pour cette raison qu'au gala des prix Génie, la Montréalaise Rachelle Lefevre a lu une (trop) longue lettre de l'acteur américain Paul Giamatti (Barney's Version), remerciant le Canada et ses citoyens pour leur bonne humeur et leur amabilité.

Et qu'à la soirée des Juno, on a applaudi longuement le crooner pop de seconde zone Usher, mentor américain de Justin Bieber, lorsqu'il a vanté (dans un message préenregistré) les mérites de Toronto et des Jeux de Vancouver. «Merci, Canada!» Non, merci à toi, Usher, de prendre un moment de ton précieux temps pour remercier notre humble nation. Usher, sacrament! Pas le dalaï-lama...

Photo: Reuters

Intronisée au Temple de la renommée lors du gala de dimanche, Shania Twain a fait grimper le baromètre du chauvinisme à de nouveaux sommets.