La musique, dit-on, adoucit les moeurs. J'ai tendance à le croire. Fête d'enfants dimanche. L'excitation à son comble. Une zoologiste présente serpent, gecko, hérisson, lapin, furet... Elle a soudainement un geste brusque vers une cage. Le visage rembruni, livide, elle répète «Oh mon Dieu! Oh mon Dieu!» en découvrant un perroquet inanimé. Pas n'importe quel perroquet: celui de son patron.

Pendant que la jeune femme, paniquée, essaie de comprendre ce qui s'est passé («Il faisait trop chaud dans la voiture?»), en oubliant qu'elle s'adresse à des enfants de 6-7 ans, le niveau de décibels monte d'un cran. «Il est mort?» demande mon fils, éberlué. Ben non, il pique un somme. Une scène de film.

De déception en surexcitation, gâteau au chocolat en forme de porc-épic aidant, la marmaille menace d'exploser comme une marmite. Mon ami Alex a le réflexe de mettre du Chopin dans son lecteur CD. Effet d'apaisement instantané.

J'ai toujours cru que la musique avait une forte incidence sur l'humeur. La mienne en particulier. Pendant les Fêtes, ma chaîne stéréo, directement liée à ma discothèque iTunes, a fait défaut. Pas de musique pendant trois jours. Spleen inconsolable, nourri par un temps maussade. Ma gaieté proverbiale n'est réapparue qu'avec la mise à jour, négligée depuis des mois, de mon vieil ordinateur.

J'ai besoin de musique pour vivre. Peu de choses me procurent plus de bonheur que de danser avec mes garçons, le samedi matin, en écoutant Tighten Up des Black Keys dans le tapis. Je me souviens comme si c'était hier de la première fois que j'ai entendu l'intro de The National Anthem de Radiohead (il y a 10 ans). Le frisson que j'ai ressenti, les palpitations, le souffle court, le plaisir brut.

Je ne suis pas le seul. Une étude de chercheurs de l'Institut et hôpital neurologiques de Montréal de l'Université McGill, publiée dimanche, le confirme: la musique peut avoir des effets euphorisants semblables à ceux de la drogue.

Écouter une musique que l'on aime provoque la sécrétion naturelle de dopamine, puissant neurotransmetteur. La dopamine joue d'ordinaire un rôle essentiel dans le renforcement de comportements biologiquement nécessaires à la survie, comme manger et se reproduire. Sauf que, contrairement au sexe ou à un risotto aux morilles (ou encore à la cocaïne, qui produit le même effet à un degré plus intense), la stimulation de dopamine par la musique reste intangible, abstraite et strictement intellectuelle.

«Notre étude démontre un lien direct entre la musique et la biologie, m'a expliqué hier le directeur de cette recherche inédite, le professeur Robert Zatorre. Il s'agit à notre connaissance de la première démonstration de la libération de dopamine par une récompense purement esthétique.

- Je n'exagère donc pas en disant que j'ai besoin de musique pour vivre...

- L'impact de la musique et des autres formes d'art est remarquable. Ce n'est pas pour rien que l'art existe depuis toujours. Les hommes des cavernes, qui avaient pourtant à peine de quoi subsister, ont consacré beaucoup de temps et d'énergie à l'art.»

Une dizaine de participants, choisis parmi 217 volontaires, ont participé à l'étude des spécialistes en neuropsychologie de l'Université McGill, dont les résultats ont été publiés dans le prestigieux journal scientifique Nature Neuroscience. Amateurs de musique classique, de jazz, d'électro ou de rock, ils ont été sélectionnés selon un critère précis: ressentir un «frisson» en écoutant de la musique (sans paroles et ne renvoyant à aucun souvenir particulier, afin de ne pas fausser les résultats).

Parmi les musiques les plus populaires auprès des sujets, les chercheurs ont noté des pièces du groupe post-rock Explosions in the Sky, des compositeurs Debussy et Barber, ainsi qu'une version techno d'une oeuvre de Barber, l'Adagio pour cordes, remixée par Tiësto.

Grâce à une combinaison originale de technologies de pointe en matière d'imagerie cérébrale, les chercheurs ont non seulement déterminé qu'écouter de la musique libère de la dopamine, mais aussi que le «frisson» ressenti est plus intense quand il s'agit d'une musique qu'on aime, voire dans les 10 à 20 secondes d'anticipation d'un crescendo dans une pièce favorite.

L'équipe du professeur Zatorre publiera bientôt les résultats d'une autre étude, sur les réactions neurobiologiques à l'écoute d'une musique cette fois inconnue. On y fera sans doute d'autres découvertes intéressantes sur les raisons de la popularité de la musique, son rôle prépondérant dans toutes les cultures, et la manière dont on s'en sert pour doper des contenus (en publicité, au cinéma, etc.).

La sécrétion de dopamine explique le fameux «frisson musical»: les poils qui se dressent, la fréquence cardiaque qui augmente, la respiration et la température du corps qui varient selon différents «degrés de contentement» liés à la musique. Mais un mystère subsiste: pourquoi une musique, plus qu'une autre, nous fait frissonner alors qu'elle laisse notre voisin de glace? La science ne peut tout expliquer.

Photo: AP

Dan Auerbach, chanteur du groupe The Black Keys.