Commençons par le commencement: ce n'est pas le «Mundial», mais le Mondial. Ce fut le Mundial en 78 en Argentine, en 82 en Espagne et en 86 au Mexique, ce qui semble en avoir marqué plus d'un. En 90, c'était le Mondiali en Italie, en 1994 la World Cup aux États-Unis, et en 98, ben oui, le Mondial en France.

Mon afrikaans est un peu rouillé, mais en français, on dit Mondial comme on dit Coupe du monde. J'ose le préciser tellement «Mundial» m'écorche les oreilles (comme d'autres l'expression «Commission des liqueurs»). Je suis un intégriste du soccer et je l'assume. On se gardera le débat football-soccer pour plus tard, même si, d'un strict point de vue étymologique, le vrai foot se joue avec le pied. Après tout, ceci n'est pas une chronique de sport mais de télé.

Télé, donc. Radio-Canada, qui sera le diffuseur officiel de la Coupe du monde à compter du 11 juin, annonçait dans le détail sa programmation cette semaine. Les 64 matches du tournoi seront diffusés en haute définition, et en direct, chaque fois que cela sera possible. Au micro, on trouvera une équipe de pros, parmi lesquels Guillaume Dumas, Jean Gounelle et Philippe Germain, tous des spécialistes du ballon rond.

Je salive déjà à l'idée de regarder deux ou trois matches par jour, plutôt que mes habituels deux ou trois matchs par semaine. Ma blonde est d'une grande indulgence. J'ai prévu mes vacances pendant le Mondial afin de ne pas en rater une minute.

Pour le sport, et l'analyse du sport, je suis sans crainte. Nous serons entre bonnes mains. L'inévitable expression «Mundial» se glissera sans doute dans la couverture de Radio-Canada, comme dans son dernier dossier de presse, qui prétend que le Canada «n'a pu s'approcher d'une qualification en Coupe du monde depuis 1982». (Sa seule et unique participation remonte en fait à 1986. Qui diffusait alors les matches du Mundial mexicain? Radio-Canada. Errer est humain, comme dirait un joueur de basket.)

Il reste qu'avec l'équipe d'experts assemblée par la télévision publique, ce type d'erreur devrait être rarissime. Je le répète, j'ai confiance en la couverture sportive du Mondial. C'est sa folklorisation à tout crin qui me fait peur.

Tous les quatre ans, les médias québécois s'emballent pour la Coupe du monde.

Or ce n'est pas tant, il me semble, le Mondial qui les emballe que l'idée stéréotypée qu'ils s'en font. L'idée d'un événement rassembleur qui fait vibrer les cafés des quartiers multiethniques de Montréal, en permettant à la majorité d'y jeter un coup d'oeil par une fenêtre entrouverte.

On a beaucoup insisté sur le «mandat multiculturel» de Radio-Canada lors du lancement de la couverture de cette Coupe du monde. J'ai aussitôt pensé à tous les topos que l'on verra aux nouvelles, en direct des cafés de la Petite Italie. Vous avez apprécié ces reportages en direct du Centre Bell, en compagnie de journalistes inaudibles enterrés par des partisans du Canadien fraîchement échappés d'un CPE? Moi pas. Cage aux sports, Caffè Italia, même combat. Soupir.

Ce qui me fait aussi soupirer d'avance (c'est une manie chez les snobs), c'est que l'on rappellera inévitablement au cours des prochaines semaines que le soccer est le sport le plus pratiqué au Québec. Ah oui? Plus que le hockey? Ben oui, plus que le hockey. Et vous savez quoi? Le soccer est le sport le plus pratiqué au Québec... depuis presque 20 ans. En 20 ans, il me semble qu'on a le temps de se faire à l'idée.

Non seulement le soccer est-il le sport le plus pratiqué chez nous depuis deux décennies, mais ce n'est plus depuis longtemps un sport d'immigrants. Et pourtant, on ne cesse de le traiter dans les médias comme un sport d'immigrants, avec l'exotisme réservé d'ordinaire au cricket ou au boulingrin. Pour dire et redire, avec une fierté teintée de paternalisme, comment le Québec est une société accueillante. Et comment Montréal est une ville ouverte à toutes ces communautés qui s'excitent le manche du drapeau pendant un mois, toutes les années paires (Euro inclus), dans un concert de coups de klaxon ostentatoires.

Savez-vous quoi encore? La Coupe du monde n'aura pas lieu dans un café de la Petite Italie. Elle pourrait avoir lieu en Patagonie, au fin fond de la Mongolie comme au pied d'un volcan islandais qu'il n'y aurait pas grand différence pour les fans de foot. C'est sur le terrain que ça se passe. C'est là que la passion se transmet. Dans le ballet improvisé du 4-4-2 en diamant et l'art millimétré du coup franc. Dans la beauté, l'exultation et la tragédie du sport.