Ce sont Les invincibles, mais ce ne sont pas LES invincibles. Inévitablement, on perd au change. Et pas seulement parce que la chaîne franco-allemande Arte présentera huit épisodes de 52 minutes d'une adaptation de la télésérie québécoise, le mois prochain, plutôt que les 12 épisodes de 45 minutes de l'originale.

Ces 124 minutes en moins, sur une saison, font certainement une différence. Il reste que les deux séries se distinguent surtout par des détails qui n'ont rien à voir avec le temps. À preuve, les huit épisodes des Invincibles français m'ont paru plus longs que les 12 de la série d'origine.

C'est une question de perceptions. Certaines fausses, sans doute. La série française m'a semblé plus verbeuse et moins comique. Peut-être parce que j'anticipais forcément la plupart des punchs, que l'effet de surprise avait disparu, et que du joual à l'argot français, comme dirait Sofia Coppola, il y a des choses qui se perdent dans la traduction.

Il ne faut pas sous-estimer l'impact sur le plaisir de la perte de référents culturels. Une réplique comme: «C'est pas toi qui s'est tapé la cellule avec les clodos!», le souvenir fantasmé d'une ancienne pop-star française ou une joke de «toast au tarama», pour un Québécois, c'est moins efficace que pour un Strasbourgeois (l'adaptation est campée en Alsace).

En regardant, en rafale, les huit épisodes des Invincibles français, j'ai eu l'impression de découvrir l'adaptation d'un film que j'ai beaucoup aimé.

L'adaptation a beau être réussie, elle surpasse rarement l'original. Surtout aux yeux du fan de la première heure.

Que l'on me comprenne bien: cette deuxième mouture des Invincibles, même si elle souffre à mon sens de la comparaison avec la série qui l'a inspirée, reste de très grande qualité. C'est une tragicomédie toujours sur le fil du rasoir, nourrie par les mensonges, petits et grands, que l'on se raconte ou que l'on raconte à ses proches.

De façon générale, l'adaptation est très fidèle à la série originale. Les trames principales sont les mêmes, les procédés de réalisation itou (utilisation de la bande dessinée, entrevues face à la caméra). Certaines scènes ont été refaites presque plan par plan. L'introduction du premier épisode est pratiquement identique, à la différence près que les couples français dorment dans des lits plus petits...

J'ai revu hier pour fins de comparaison la scène des Invincibles québécois où Rémi (Rémi-Pierre Paquin) quitte Jolène (Lucie Laurier) alors qu'elle s'apprête à emménager chez lui.

La séquence française est en tous points semblable, sinon que Jolène, devenue Zoé, est jouée par Lou Doillon, qui ne dit pas «hostie de trou d'cul de câlice».

Je ne le remarque pas que pour l'effet comique. Le ton général des Invincibles français m'a semblé légèrement plus poli - pas seulement dans le langage - et plus léché que la version québécoise. Comme du reste la musique de Mano, le Rémi français: certaines de ses chansons sont les mêmes, mais elles sont rendues de manière moins bric-à-brac, plus Stone Roses que Stooges.

Aussi, tout pathétique qu'il soit, le quatuor d'anti-héros français m'a paru moins loser que la bande formée par P-A, Rémi, Steve et Carlos. Une question de feeling, comme chantait le duo franco-québécois Richard Cocciante-Fabienne Thibeault. Ils s'appellent F-X (François-Xavier), Mano, Vince et Hassan. Ils sont tout aussi typés, pas plus mous, mais peut-être plus tendres que leurs alter ego québécois. F-X est aussi «face à claques» que P-A, Mano se demande s'il est le fils de David Bowie (plutôt que de Gene Simmons), la «bicuriosité» de Vince est encore plus affichée que celle de Steve, et Hassan (le Carlos français) a des origines turques plutôt que mexicaines.

C'est bien sûr autour d'Hassan (Jonathan Cohen), cette «bonne pâte», que s'articule principalement la première saison des Invincibles européens. Même si l'équilibre entre les personnages est plus grand que dans la version originale (les filles sont plus présentes). Il m'a semblé d'ailleurs que la présence de Cathy «casse-couilles», la Lyne-la-pas-fine française, était plus discrète. Cathy est chiante, il ne fait aucun doute, mais est-elle aussi «castratrice» que Lyne? Pas sûr.

Clin d'oeil ou pas aux origines de la série, on sent poindre à l'occasion un soupçon d'accent chez la Québécoise Marie-Ève Perron (Cathy), révélée par l'excellent Forêts de Wajdi Mouawad. Une référence pleinement assumée: F-X souhaite que son ex rencontre un Québécois. «Câlice, ce serait le fun!» dit-il, sans la précision de Gad Elmaleh.

C'est dans le ton, parfois surjoué, parfois théâtral, que j'ai eu l'impression de ne pas toujours reconnaître «mes» Invincibles. La réalisation m'a paru moins dynamique. Les malaises du scénario, moins bien soulignés. Même le nouveau Rich the Bitch (devenu Mich en France) n'a pas le même regard décalé. C'est comme pour la bédé des Invincibles, plus manga que comic book dans la version européenne. Pareil, en moins bien.