On l'aura compris, la polémique autour du Moulin à paroles est politique. D'un côté, le ministre libéral Sam Hamad flirte avec le révisionnisme en accusant les organisateurs de faire l'apologie du terrorisme. De l'autre, la famille péquiste hurle commodément à la censure parce que le gouvernement a refusé une aide de 20 000 $ à cette commémoration de la bataille des plaines d'Abraham.

La lecture du manifeste du FLQ dans le cadre du Moulin à paroles, qui doit avoir lieu ce week-end, n'est rien de moins qu'un «dérapage», soutient Jean Charest, au coeur de ce festival de la récupération politique. Pauline Marois, pas en reste, a jugé hier «inacceptable» que le gouvernement ne participe pas à l'événement, récupéré politiquement - on n'y échappe pas - par les partis indépendantistes.

On exige des excuses, on fait de l'esbroufe, on s'accuse mutuellement de tous les torts. Petite politique provinciale. Rien de bien original, sinon que le dialogue de sourds est tel que l'on en a oublié de féliciter le maire Labeaume et la ministre Josée Verner de leur désistement de dernière minute. Au nom de tous les miens, comme dirait l'autre, je les en remercie.

Ce que l'on a surtout oublié dans l'écume de la polémique, c'est que le Moulin à paroles est une manifestation artistique. Une manifestation chargée d'histoire et de politique, soit, mais d'abord et avant tout artistique. Un événement, imaginé entre autres par la metteure en scène Brigitte Haentjens et le comédien Sébastien Ricard qui, attablés il y a quelques mois dans un restaurant vietnamien du Quartier chinois, ne pouvaient se douter de la controverse à venir.

La polémique a pris une ampleur insoupçonnée. Certains, semblant juger obscène la seule évocation du manifeste du FLQ, souhaitent que Luck Mervil reste chez lui au 3950, rue des Autruches, à Montréal, ce week-end, plutôt que de lire à Québec ce fameux texte d'extrême gauche, indissociable de l'un des événements les plus marquants - et tristes - de notre histoire. Ce serait plus raisonnable et plus rassembleur, disent-ils.

L'art, ne leur en déplaise, n'a pas à être raisonnable ni rassembleur. Le Moulin à paroles n'a pas à se plier aux diktats de la majorité, ni d'ailleurs à ceux d'une quelconque minorité.

L'événement n'a pas à ménager les susceptibilités des uns et des autres, à se fondre dans le consensus tiède du juste milieu, à présenter les deux côtés de la médaille de notre obsession constitutionnelle compulsive. C'est même le contraire.

Le Moulin à paroles n'est pas un pow-wow de boy-scouts ni une fête multiculturelle écolo subventionnée par des fonds publics. C'est une performance de spoken word, autour de 130 textes qui disent, traduisent, évoquent notre histoire depuis la Conquête. La belle et la moins belle, la douce et la rock'n'roll, la glorieuse et la honteuse. Des textes modérés ou radicaux, fondateurs ou anecdotiques, officiels ou subversifs, admirables ou détestables, livrés essentiellement, il est vrai, par des souverainistes. Le Moulin à paroles est, à n'en point douter, un spectacle engagé. Faut-il qu'il s'en excuse?

Le jour où l'art québécois s'excusera de déranger, d'émouvoir et de provoquer, pour se fondre docilement dans la masse, avec pour dessein d'être raisonnable et rassembleur, on pourra commémorer une défaite bien plus grave que celle de 1759.

V pour puéril

Mon confrère du Soleil Richard Therrien rapportait la nouvelle hier: la direction de V (ex-TQS) a mis un terme à une entente publicitaire avec l'hebdomadaire Voir dans la foulée de la publication d'une chronique de Steve Proulx, qui reprochait au CRTC d'avoir cautionné la transformation de TQS de télé généraliste en télé spécialisée dans le divertissement.

Le porte-parole de V a reconnu que cette chronique, «qui adoptait un ton méprisant et de mauvaise foi», était «la goutte qui a fait déborder le vase».

«Pouvons-nous encore écrire ce qu'on pense vraiment dans les journaux?» demande Richard Therrien sur son blogue. La question est particulièrement pertinente dans le contexte actuel de chute publicitaire dans la presse écrite. D'autant plus que le contrat résilié par V s'apparentait à du publireportage déguisé (sa publication cesse aujourd'hui même dans Voir).

La direction de V a bien sûr le droit d'annoncer où bon lui semble. Mais sa réaction puérile dans les circonstances témoigne d'une étonnante immaturité face à la critique. On lui souhaite des jours meilleurs.