Il y a, au départ, une lettre d'appui à Radio-Canada fort maladroite, rédigée par le Syndicat des communications de la SRC et endossée, sans doute hâtivement, par quelque 70 personnalités publiques. Il y a, ensuite, la réaction courroucée des réseaux de télé et de radio privés. Ma collègue Nathaëlle Morissette a résumé mardi dans nos pages cette nouvelle polémique public-privé (PPP) qui s'est jouée à coup de lettres ouvertes dans Le Devoir.

Le texte qui a mis le feu aux poudres, cautionné entre autres par Yves Michaud, Yves Beauchemin, Christian Bégin, Denise Robert et Michel Rivard, dénonçait les coupes annoncées à Radio-Canada. Et demandait d'un ton péremptoire: «Sans Radio-Canada, quel réseau de nouvelles réserverait l'espace de réflexion coûteux nécessaire à une information autre que spectaculaire, people, tape-à-l'oeil, sensationnaliste où la une est réservée aux vedettes ou au chien écrasé du voisin?»

Le voisin et son chien ne l'ont pas trouvée drôle. Avec raison. Les auteurs y sont allés un peu fort dans le lieu commun. Quiconque prend la peine de s'informer, ne serait-ce qu'occasionnellement, à TVA, reconnaîtra que ses bulletins de nouvelles, à l'exception notable de l'information internationale, ne sont pas si différents de ceux de la télévision publique. Il existe, c'est indéniable, un «style TVA» et un «style Radio-Canada» - ce n'est pas du pareil au même -, mais les sujets abordés sont souvent semblables.

Mardi à 22 h, on n'en avait que pour Michael Jackson, à l'une et l'autre chaîne. Le reportage de Radio-Canada sur la centaine de fans massés devant MuchMusic à Toronto n'était pas plus pertinent que le vox-pop de TVA dans les rues de Montréal. Radio-Canada, singeant son concurrent, nous a même présenté une journaliste spécialiste du web qui, le doigt sur un écran plasma, a pu nous confirmer que - eh oui - il avait beaucoup été question de Michael Jackson sur Twitter et Facebook dans la journée.

L'an dernier, Radio-Canada a courtisé Jean-Luc Mongrain avant qu'il n'accepte de «rentrer à la maison» à LCN. Si les bulletins d'information se distinguent de moins en moins, on peut en dire autant de la grille en général. Sans trop chercher, on peut nommer une demi-douzaine d'émissions de Radio-Canada (quiz, variétés et affaires publiques) qui pourraient être diffusées intégralement à TVA, et vice-versa. Josélito Michaud aurait autant sa place à TVA que Taxi 0-22 à Radio-Canada.

Prétendre, comme le font les 71 signataires de la lettre d'appui à la SRC, que hors des murs de Radio-Canada, il n'y a point de salut pour le bon goût, la langue française, l'éthique et la rigueur journalistiques, est évidemment méprisant, comme l'ont souligné les auteurs (patrons, journalistes, animateurs, commentateurs de TVA et de Corus Québec) de deux lettres publiées dans la foulée, samedi dans Le Devoir.

Il reste que je ne peux m'empêcher de voir dans la réaction des réseaux privés une part de ce que je qualifie de «complexe du Canal 10». Le réflexe de victimisation de ceux qui se sentent constamment méprisés par le simple fait de leur popularité. La faveur du public ne leur suffit pas. Il leur faut aussi l'imprimatur de l'intelligentsia. Allez savoir pourquoi.

Aussi, les diffuseurs privés ont tort de rejeter en bloc tout le contenu de cette lettre controversée qui les accuse notamment d'être «allergiques au risque et à l'innovation». La récente stratégie de TVA est de renouveler le moins possible sa grille. On ne change pas une formule gagnante. Sa prudence a certes été récompensée en cotes d'écoute, mais le réseau ne peut sérieusement prétendre (ce qu'il fait pourtant) qu'il prend des risques en diffusant des séries grand public comme Nos étés et Taxi 0-22. Le risque ne se calcule pas seulement en argent sonnant et trébuchant.

De la même façon, on ne peut dire sans rire que la radio privée innove en faisant tourner en «rotation forte», pour les besoins du behaviorisme commercial, les mêmes 50 chansons francophones toute la semaine. Les animateurs de radios privées sont les premiers à reconnaître qu'ils sont limités dans leurs choix musicaux. Combien d'artistes présents au Festival de jazz sont fréquemment diffusés sur une radio de Corus Québec?

D'un côté, des défenseurs d'un réseau public fort tombent dans le panneau du préjugé. De l'autre, des patrons de réseaux privés jouent aux vierges offensées. En filigrane s'envenime une guéguerre puérile et lassante qui n'avantage personne.

Rosa Parks du show-business

Le plus ironique, c'est de faire aujourd'hui de Michael Jackson un symbole de l'émancipation des Noirs aux États-Unis, sorte de Rosa Parks du show-business, alors que bien des Afro-Américains lui reprochent depuis longtemps d'avoir honte d'être noir.

On les comprend. A-t-on déjà vu quelqu'un s'appliquer davantage à masquer sa négritude? Dépigmentation de la peau, rhinoplastie pour effacer un nez épaté, perruque lisse pour faire oublier tout souvenir d'un Afro. Si les enfants de Michael Jackson sont blancs, c'est parce qu'il l'a bien voulu.

Pourtant, mardi au Staples Center, le révérend Al Sharpton a laissé entendre que Barack Obama devait pratiquement sa présidence à l'auteur de Black or White. Et Magic Johnson a prétendu que le roi autoproclamé de la pop avait fait de lui un meilleur joueur de basketball. Celle-là, je l'avoue, m'intrigue beaucoup...