À l'angle de Saint-Urbain et de Président-Kennedy, le marteau-piqueur tenait le rythme, précis comme un métronome. Un beat lourd, plus techno que be-bop. En début d'après-midi hier, on avait l'impression d'être accueilli sur un chantier de construction plutôt qu'au Festival de jazz.

À un jet de pierre, à l'entrée de l'Esplanade de la Place des Arts (côté de Maisonneuve), le rythme elliptique d'un orchestre de samba rassurait enfin sur la destination. D'un côté du mur de la PdA, le trou béant de l'ancienne scène blues; de l'autre, «l'espace famille» du Festival, plus ambitieux que jamais: un carré de sable, des grands jeux modulaires, un atelier d'éveil musical, une tente à langer, alouette.

Et du monde. Autant de «petits amis» au pouce carré que de grands amis littéralement «mis en boîte» la veille au spectacle d'ouverture de Stevie Wonder. La nouvelle Place des festivals, accueillante et pleine de potentiel, mais rectangulaire et relativement exiguë, a toujours des airs de chantier elle aussi. Disons que le ménage n'a pas été tout à fait terminé avant que la visite arrive...

À l'Esplanade «des petits», en revanche, tout est en ordre et plus grand que nature. Un sympathique Disneyworld du festivalier en herbe. Sauf qu'à 28 degrés (température ressentie: 72 °C), faire la file entouré de marmots surexcités, très peu pour moi merci. Essayez d'expliquer ça à un garçon de 3 ans aux yeux exorbités et à son frère de 5 ans dans le même état. Une demi-heure de négociation serrée.

Heureusement, j'avais un argument de taille. Ils avaient déjà eu leur «surprise». On arrivait du spectacle de La Petite École du jazz, à la Grande-Place du Complexe Desjardins. Le Festival a 30 ans, La Petite École en a 20. Un bel anniversaire tout rond, comme le dos d'un chat.

Mon plus vieux était heureux de renouer avec St-Cat, format plus grand que nature. «C'est le gros chat!» a-t-il crié, en approchant de la mezzanine. Où ça Galarraga? ai-je pensé. S'approchant un peu plus: «Il n'est pas si grand que ça pour une mascotte...» C'est pas Youppi, mais 6 pieds 3 pour 235 livres, c'est pas ce qu'on appelle un «frame» de chat.

J'ai laissé s'évanouir mes vieux souvenirs des Expos. Le «gros chat», le bleu, s'est rapidement fait voler la vedette. Depuis 20 ans, l'animateur enjoué de La Petite École du jazz n'est nul autre que Jacques L'Heureux, alias Rémi, qui était aussi, dans une autre vie, Passe-Montagne. Le choc. «Où sont ses cheveux? m'a demandé mon petit chaton. Il a les cheveux blancs! Est-ce que ce sont ses vrais cheveux? À la télé, ils ne sont pas pareils!»

La foule était compacte ici aussi. Des centaines d'enfants, concentrés à la tâche, accompagnés de leurs parents. Rémi leur a demandé de lui suggérer une chanson pour l'orchestre. Une petite a levé la main. Elle ne voulait pas chanter. «C'est la faute à maman!» Alors maman a dû chanter. «Passe-Montagne aime les papillons...» «Maman est une poussinette», a remarqué l'animateur, avant que le thème de Passe-Partout ne soit repris en version jazz.

Les yeux de mes garçons se sont éclairés d'une nouvelle lumière. Puis «à cause de la réforme et des nouvelles exigences du Ministère», dixit Rémi, il a été demandé aux excellents musiciens de l'École de jouer, qui la contrebasse les yeux bandés, qui la batterie avec des raquettes de badminton. «Regarde, il joue du piano à l'envers», ai-je remarqué. «Non papa, c'est lui qui est à l'envers, pas le piano!»

James Gelfand jouait, à l'envers, «un grand succès de Michael Jackson: Frère Jacques» (Frère Jacko?), toujours selon Rémi. J'ai pensé que la veille, mon plus vieux m'avait demandé, après avoir vu en boucle des images du «roi de la pop» à la télé, lequel était le «vrai visage de Michael Jackson: des fois il est blanc, et des fois il est noir».

Il y a des questions auxquelles il n'y a malheureusement pas de réponse. Nous sommes sortis en chantant. «À La Petite École du jazz, qu'est-ce qu'on fait? Du jazz!»