Il n'y a pas de série télé plus brillante et plus imprévisible à l'antenne, en ce moment, que Les Invincibles. Les adolescents attardés de Radio-Canada ont atteint des sommets de bassesse cet hiver. Pour notre plus grand plaisir.

Je ne me souviens pas d'avoir autant appréhendé la fin d'une série québécoise. Il ne reste qu'un épisode à la troisième et ultime saison des «Invincs». Je le savourerai, mercredi prochain, avec un sentiment étrange de bonheur et d'inquiétude.

Car il n'y a pas que la fin de l'irrésistible série de François Létourneau et de Jean-François Rivard que je redoute. Pas que la disparition de P.-A., Steve, Carlos et Rémi, les antihéros les plus sympathiques de notre petit écran. Il y a aussi l'affaiblissement progressif du télédiffuseur public, qui me fait craindre le pire pour l'avenir de la télévision de qualité.

Les temps sont durs à Radio-Canada. Le ministre du Patrimoine canadien, James Moore, parle ouvertement de l'abolition de 600 à 700 postes au pays. Il a beau tenter de se faire rassurant sur le maintien de l'aide à Radio-Canada/CBC, personne n'est dupe des intentions réelles de son gouvernement.

Depuis 10 jours, James Moore s'est transformé en porte-parole des câblodistributeurs et diffuseurs privés. La télévision publique ne doit pas concurrencer la télévision privée pour des revenus publicitaires en décroissance, soutient-il. Du même souffle, il ajoute que son gouvernement ne contribuera pas un cent de plus à la société d'État et encouragera désormais la création d'émissions «populaires et rentables», que «les Canadiens veulent voir».

Si je n'étais pas si indulgent, je dirais que le gouvernement Harper dicte non seulement sa façon de faire à Radio-Canada, mais qu'il menace carrément de tuer l'institution à petit feu.

Dans son élan, le ministre Moore en a même oublié jusqu'à son devoir de réserve, le proverbial «arm's length», censé protéger les organismes publics de l'ingérence politique. Il a voulu rencontrer les membres du conseil d'administration de Radio-Canada/CBC avant son importante réunion budgétaire de lundi et mardi. Des dirigeants de la SRC ont eu la présence d'esprit de repousser cette rencontre à plus tard, afin d'éviter une apparence évidente de conflit d'intérêts.

Qu'a fait James Moore? A-t-il remercié le C.A. de Radio-Canada pour sa mansuétude? S'est-il excusé de ce faux pas, en prétextant son jeune âge et son inexpérience? Non. Furieux, il a annulé la rencontre et décidé de livrer son message par le biais des médias.

Le ministre Moore et son gouvernement aimeraient nous faire croire qu'ils volent au secours du «contenu canadien» en rabrouant la CBC pour son choix (injustifiable, certes) de diffuser des jeux télévisés américains à heure de grande écoute. Que proposent-ils comme solution de rechange? Rien du tout.

Les conservateurs viennent de retirer à la télévision publique un budget réservé de 112 millions de dollars dans le Fonds canadien de télévision pour la diffusion d'émissions de qualité. Ils refusent d'assouplir des règles pour permettre à Radio-Canada/CBC de réduire ses pertes. Ils acceptent sans broncher que leur intransigeance puisse coûter jusqu'à 10% des emplois à la société d'État. Et ils ne cachent pas que, si ce n'était que des plus conservateurs parmi eux, Radio-Canada pourrait disparaître sans qu'ils ne versent une larme.

Pourquoi cela devrait-il nous concerner tous? Parce qu'à terme, c'est la qualité de la programmation de notre télévision qui est en jeu. Radio-Canada, c'est à la fois notre PBS et notre HBO. Le lieu par excellence de diffusion de contenus originaux et innovateurs, sans contraintes obligatoires de rendements exagérés. La chaîne où l'on a pu voir des oeuvres de la trempe de Temps dur, Minuit le soir et Les Invincibles.

En télévision comme ailleurs, il faut se donner les moyens de ses ambitions. Radio-Canada n'a pas qu'un simple mandat de contenu canadien, n'en déplaise à James Moore, mais une obligation de qualité. Le diffuseur public ne saurait être considéré comme n'importe quelle autre entreprise de télédiffusion. L'État a l'obligation morale de lui fournir les moyens nécessaires pour diffuser une programmation de qualité. Ce gouvernement ne semble pas l'avoir compris. Ce sera à nous d'en payer le prix.

Le ministre de l'inculture

Prenez le moins allumé, le moins cultivé, le moins informé de tous les ministres du gouvernement Charest. Attendez, je recommence. Prenez le plus ignorant, le plus inculte, le plus cul-terreux de tous les députés de l'arrière-ban de l'Assemblée nationale.

Demandez-lui de nommer le «réalisateur et scénariste québécois qui a remporté l'Oscar du meilleur film en langue étrangère pour Les invasions barbares». Il y a de bonnes chances, même s'il n'a jamais mis les pieds dans un cinéma, qu'il ne possède pas de lecteur DVD, qu'il ne sache ni lire ni écrire, qu'il réponde «Denys Arcand».

Dimanche à Tout le monde en parle, le ministre James «mauvaises coupes, mauvais prix, mauvaise réputation» Moore n'a pu identifier, alors qu'on lui soufflait pratiquement la réponse, Guy Laliberté, Félix Leclerc, Céline Galipeau et Jean-René Dufort (qu'il a rencontré il y a quelques semaines à peine). Soit. Ce sont des Québécois et James Moore vit au Canada, pour ne pas dire sur une autre planète.

Mais que le ministre de la Culture du Canada, qui a vécu toute sa vie dans la région de Vancouver, ne sache pas qui est le «réalisateur et scénariste d'origine arménienne qui a reçu sept prix Génie et a été en nomination pour deux Oscars pour son film The Sweet Hereafter», c'est inexcusable.

Atom Egoyan a grandi à Victoria, à quelques dizaines de kilomètres de Vancouver. C'est LE cinéaste du Canada anglais. The Sweet Hereafter (De beaux lendemains) est le film le plus célèbre de ce réalisateur de réputation internationale. Réponse de James Moore à Guy A. Lepage: «Je n'ai aucune idée.» En effet. C'est ce qui nous désole le plus.

Salut Bashung

Dimanche matin, comme bien d'autres, je me suis assis devant la chaîne stéréo, autel de circonstance, pour saluer Bashung.

«La nuit je mens/Je prends des trains à travers la plaine/La nuit je mens/Je m'en lave les mains/J'ai dans les bottes des montagnes de questions/Où subsiste encore ton écho/Où subsiste encore ton écho...»

«Pourquoi tu pleures, papa?» m'a demandé mon garçon de 5 ans. «Parce que c'est beau.»

 

Photo: Radio-Canada

Les quatre acteurs principaux de la série Les Invincibles : Patrice Robitaille, Pierre-François Legendre, François Létourneau et Rémi-Pierre Paquin.