Daniel Lemire me donne rendez-vous chez Maïko, rue Bernard. L'humoriste a signé une première pièce de théâtre, Clash, mise en scène par Pierre Lebeau, qui sera présentée du 15 juillet au 5 septembre à la salle André-Mathieu. Discussion sur l'état de la nation.

Marc Cassivi: Tu voulais parler de la crise économique...

Daniel Lemire: J'espère qu'on en a eu assez du cynisme du capitalisme sauvage. Pendant l'ère Bush, il y a des gens qui se sont enrichis de manière éhontée. Quand c'est rendu que des banques font faillite, que les gouvernements les renflouent et que les patrons se sauvent avec la petite caisse pendant que les REER des gens ordinaires ne valent plus rien, je trouve ça plus qu'indécent. À l'époque, les gouvernements jugeaient les manifestants antimondialisation comme une gang de freaks. On comprend de plus en plus pourquoi. Ils ont voulu tout déréglementer pour piger dans le panier à bonbons.

M.C.: As-tu l'impression que la prise de conscience va être assez grande pour que les choses changent réellement?

D.L.: La société dans laquelle on vit est basée sur la consommation. Il me semble qu'on vient de frapper un mur. Les gens ont perdu leurs maisons aux États-Unis parce qu'ils étaient trop endettés. Les banques ont leur part de responsabilité, mais ces gens-là, où avaient-ils la tête pour emprunter trois fois la valeur de leur maison? Tout ça tenait à un fil.

M.C.: Les gens surconsomment, mais on les encourage à surconsommer. Des banques proposaient des hypothèques d'un demi-million à des gens qui ont des salaires minimes, en leur faisant croire qu'il n'y avait pas de problème.

D.L.: Depuis quand on prend ses conseils de vie d'une banque! Les gens ne réfléchissent plus.

M.C.: Barack Obama a eu de la chance que la crise économique se pointe avant l'élection présidentielle, plutôt qu'après.

D.L.: C'est un peu ironique que ce soit Obama qui mette fin à une période noire! C'est le retour de l'intelligence à la Maison-Blanche. J'ai confiance en lui, mais il ne faut pas trop lui en mettre sur les épaules. C'est une manie d'attendre après le Messie. C'est le problème du PQ. Au lieu d'attendre le prochain René Lévesque, qui était vraiment un grand homme, on devrait faire quelque chose. On entend dire depuis des années qu'il n'y a pas de projet de société. Les gens n'en veulent pas.

M.C.: Bien des gens ne s'intéressent qu'à ce qui touche à leur portefeuille.

D.L.: Les gens se plaignent qu'ils paient trop d'impôts. C'est une bonne chose de payer des impôts! Il y a une paix sociale au Québec que l'on retrouve dans peu d'endroits. Ça se paie. Il faut y faire attention. C'est sûr que les gens qui gagnent 35 000 $ sont ceux qui y goûtent le plus, mais l'impôt est un mal nécessaire. C'est comme le débat sur l'électricité au Québec. À un moment donné, il faut être logique. On ne peut pas être contre tout, tout le temps. Le projet de la Romaine, il faut le faire le plus brillamment possible, mais il faut le faire. On va vendre de l'électricité aux États-Unis, ce qui va empêcher de construire des centrales au charbon.

M.C.: C'est un moindre mal environnemental, selon toi?

D.L.: On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. C'est mieux que ce qui se fait ailleurs en ce moment. Si tu es contre tous les projets hydroélectriques, éclaire-toi à la chandelle, fais des shows acoustiques... Il faut être cohérent. Je trouve qu'on est bas de laine un peu. On pourrait être les Arabes de l'eau. C'est assez clair. Il me semble qu'on manque le bateau un peu. Il faut aussi créer de la richesse collective. On a beau dire qu'il faut consommer moins, je suis d'accord, mais en tant qu'État, il faut agir. La demande énergétique n'ira pas en diminuant.

M.C.: Qu'est-ce que tu réponds à ceux qui s'opposent à des projets comme celui de la Romaine?

D.L.: À l'époque de la Baie-James, il y a bien des gens qui n'étaient pas d'accord, mais on l'a fait et ç'a apporté beaucoup de richesse au Québec. Si on n'avait pas fait les projets de la Baie-James, le Québec ne serait pas loin du tiers-monde. Cela dit, ces projets-là ont aussi leurs défauts.

M.C.: Il faut trouver le juste milieu?

D.L.: Le point de vue environnemental est parfois fatigant, parce qu'il peut être très alarmiste dans bien des cas. Quand c'est trop, ça nuit. Je suis particulièrement concerné par l'environnement. Mais il ne faut pas écoeurer les gens avec ça. Quand on est trop alarmiste, ça devient rebutant. Un des problèmes, c'est que tout ça n'est pas concerté. Il y a des projets qu'il faut faire même s'il y a des gens qui ne sont pas d'accord. C'est pour ça qu'il y a des élus. Je n'ai rien contre Roy Dupuis, mais en même temps, ce n'est pas un ingénieur. Aux nouvelles, on va lui donner 20 minutes, puis à l'ingénieur, seulement 30 secondes. Moi, je veux avoir accès à l'information.

M.C.: Le scepticisme est suspect en matière environnementale. On ne peut pas être contre la vertu...

D.L.: Je le répète, moi le premier, je suis très concerné par ces questions-là. Mais il faut être réaliste. On dit: «Ça ne sera plus comme c'était.» Je suis désolé, mais il faut se faire à l'idée. Rien ne sera plus «comme c'était»! (rires)

M.C.: Partages-tu cet avis qu'au Québec, on n'avance pas beaucoup parce que l'on reste campé sur ses positions?

D.L.: Ça dépend du projet. J'étais contre l'hôtel-casino (de Loto-Québec et du Cirque du Soleil). On n'avait pas besoin de ça. On a voulu mettre ça sur le dos de quelques manifestants à Pointe-Saint-Charles. Je ne suis pas naïf à ce point.

M.C.: Des études ont démontré que c'était une mauvaise idée.

D.L.: Les gens ne viendront pas de l'étranger pour jouer au Casino de Montréal. Malgré tout le respect que j'ai pour le Cirque du Soleil, d'autres de leurs projets ont été refusés ailleurs. Il y a des limites. J'ai trouvé que cette histoire-là avait été récupérée de manière démagogique. Lucien Bouchard a raté une belle occasion de se taire quand il a dit que les Québécois ne travaillaient pas assez. Hein? Qu'est-ce que tu racontes? On ne peut pas dire aux gens: «Si t'es pauvre, c'est de ta faute.» Même si ça peut parfois être le cas. C'est un raisonnement de sans-dessein. C'est indécent et réducteur.

M.C.: C'est aussi infantilisant et paternaliste. L'argument «On ne peut rien faire au Québec à cause des groupes de gauche» a beaucoup servi à l'époque.

D.L.: C'est exagéré de dire qu'il n'y a pas moyen de faire de bons projets ici. Je ne suis pas pessimiste. La chute de Bush, la chute de l'ADQ, ça fait du bien. Le «gros bon sens» a fait son temps. Un des problèmes, c'est qu'autant à la télévision que dans les autres médias, on laisse entendre que si quelqu'un est riche, il est quelqu'un de bien.

M.C.: C'est devenu une valeur intrinsèque.

D.L.: Tout à fait. Au Québec, le symbole de ça, c'est peut-être René Angélil. Malgré tout le respect que j'ai pour lui, ce n'est pas un grand penseur. Certains le voyaient premier ministre! Il ne faut pas virer fou. Je n'ai rien contre lui, ce n'est pas la question. Mais ce n'est pas parce que t'es riche que t'as une solution à tout.

M.C.: Comme si la réussite financière était garante de tout...

D.L.: Et qu'elle donnait voix au chapitre. Je n'étais pas au Québec pendant le Bye Bye, mais j'ai compris qu'il était en train de rétablir la peine de mort! (rires) Il a fait une sortie pour qu'on mette les patrons de Radio-Canada à la porte. De quoi j'me mêle? En plus, c'était assez biaisé comme point de vue. C'était gros comme le bras. Pensez-vous qu'on ne voit pas ça? Le Bye Bye était peut-être choquant - je ne sais pas, je ne l'ai pas vu - mais c'est toujours bien juste une émission de télé. Il ne fait pas virer fou avec ça.

 

Illustration: Francis Léveillée, La Presse