D'ici trois ans, on estime que 3400 spectacles d'artistes canadiens à l'étranger seront annulés en raison de l'abandon par le gouvernement conservateur des programmes d'aide à la tournée PromArt et Routes commerciales. De nombreuses troupes de danse et de théâtre, des orchestres et des groupes de musique risquent déjà la faillite.

En décembre, la Conférence internationale des arts de la scène (CINARS) a sonné l'alarme. Qu'a fait le gouvernement Harper dans son plus récent budget pour encourager le rayonnement international des artistes canadiens? Rien. Pis encore, il en a rajouté en promettant 25 millions de dollars pour la création de prix... destinés à des artistes étrangers.

 

L'idée des Prix du Canada pour les arts et la créativité, qualifiés de «Prix Nobel de la culture», n'est pas mauvaise dans l'absolu. Sauf que dans un contexte de compressions budgétaires et d'abandon du soutien des artistes canadiens dans le monde, c'est une idée qui a été très mal reçue par les milieux culturels. Et pour cause.

Tout est question de contexte. Quelques mois après avoir coupé les vivres aux artistes canadiens à l'étranger, proposer de racoler au Canada des artistes étrangers avec des prix de 100 000 $ est pour le moins paradoxal. Or, dans le contexte actuel, non seulement ces grandiloquents Prix du Canada semblent indécents, mais la nébuleuse qui les entoure n'a rien de rassurant.

Hier, ma collègue Nathalie Petrowski a révélé que de prétendus «partenaires» du projet (le Cirque du Soleil et les Grands Ballets canadiens, entre autres) n'ont jamais été sollicités pour leur appui, contrairement à ce que suggère un document présenté à Ottawa.

Les Prix du Canada, conçus par les mécènes David Pecaut et Tony Gagliano, fondateurs du Festival Luminato de Toronto, doivent être gérés par un organisme à but non lucratif. Or cet OSBL n'a pas encore été constitué, et n'a ni président ni directoire. Les règlements mêmes du concours n'ont pas été déterminés.

Bref, ces fameux Prix du Canada sentent l'improvisation et le flou artistique à plein nez.

Le nouveau ministre du Patrimoine canadien, James Moore, en a fait la démonstration irréfutable, hier, en désavouant publiquement David Pecaut et Tony Gagliano. Sentant la soupe chaude, le ministre a déclaré que le projet de ces «deux messieurs» de Toronto, qu'il avait pourtant défendu jusque-là, n'était qu'une «proposition» et qu'il en espérait d'autres.

Une façon comme une autre de tenter de gagner du temps et de détourner l'attention d'une autre bourde de son gouvernement. Malheureusement pour le ministre Moore, les gens ne sont pas dupes. Essayer de faire croire que le projet des gens de Luminato n'est pas le même que celui du gouvernement s'apparente à prendre les gens pour des imbéciles.

La vérité, c'est que le ministre vient de comprendre qu'il s'est fait rouler. On lui a laissé croire que le milieu culturel canadien, et en particulier de grands acteurs comme le Cirque du Soleil et les GBC, avaient donné leur aval aux Prix du Canada. La vérité, c'est que ces appuis fictifs n'ont servi qu'à donner du lustre à un projet cousu de fil blanc, cautionné par Ottawa sans plus de vérifications.

La vérité, c'est aussi que le ministère du Patrimoine n'a pas été consulté et que cette décision politique, guidée par les affaires, a été prise selon nos sources directement au bureau du premier ministre, de concert avec le ministre Jim Flaherty.

Aujourd'hui, pour sauver la face, James Moore tente de faire passer une mauvaise décision et un projet bancal pour une simple méprise. Ce projet n'est pas NOTRE projet. Bien sûr, M. Moore. Bien sûr.

On comprend son malaise. Sa position est intenable. D'un côté, il tente de justifier l'abolition des programmes d'aide aux artistes à l'étranger par la nécessité d'une gestion responsable des fonds publics, et de l'autre, on l'oblige à signer un chèque en blanc de 25 millions à une OSBL aux idées de grandeur, qui n'existe que sur papier.

D'un côté, il refuse de rendre publics les documents qui ont mené à l'abolition des programmes PromArt et Routes commerciales (parce qu'on y confirme les motifs idéologiques de la décision, peut-être?), et de l'autre, il donne carte blanche à une ébauche de projet aux allures de PPP (partenariat public-privé) culturel, approuvé sous de fausses représentations.

D'un côté, il néglige les besoins urgents des artistes et des organismes culturels, et de l'autre, il joue de politicaillerie puérile en prétendant que le Bloc québécois s'oppose aux Prix du Canada «parce qu'ils rendent le pays plus fort sur la scène internationale».

Tout cela est bien difficile à justifier. Aujourd'hui, devant le tollé général et l'absurdité de la situation, le jeune ministre aimerait nous faire croire, sans rire, que cette histoire de prix de 25 millions à Toronto n'est qu'une vue de l'esprit. Que le vrai projet de 25 millions reste à venir. Que des comités seront mis sur pied pour l'évaluer. Que tous les parlementaires pourront l'examiner en détail avant d'y aller de leurs suggestions. Que tout cela ne sera ni une perte de temps, ni une perte d'argent. Et qu'une mauvaise décision, si on la renie avec conviction, même en persistant dans l'erreur, peut se transformer miraculeusement, à force, en bonne décision.

Décidement, ce monsieur nous fait presque regretter Mme Verner.