Greta a raison, c’est aux jeunes qu’appartient la cause du climat. Ce sont eux qui seront la première génération à subir les pires conséquences du laisser-faire.

Je comprends leur angoisse, pour avoir grandi à l’époque de la guerre froide, une époque hantée par la possibilité d’une guerre nucléaire. Le mur de Berlin, la tension constante entre l’URSS et les États-Unis, la course aux armements effrénée des deux grandes puissances, tout cela annonçait une catastrophe inouïe : l’horreur d’Hiroshima, à l’échelle mondiale cette fois.

Adolescente, j’imaginais parfois mon quartier de Côte-des-Neiges en feu sous le champignon atomique qui allait embraser la planète et saccager ma vie. Je me souviens d’une grande crise de colère dans la cuisine familiale. À mes parents qui m’imposaient des heures de rentrée terriblement strictes, je hurlais qu’ils devaient au moins me laisser vivre ma jeunesse, moi qui allais voir ma vie prématurément fauchée dans l’apocalypse nucléaire !

J’en ris aujourd’hui, mais au fond, ce n’était pas totalement fou. Même si j’étais trop jeune pour comprendre que l’équilibre de la terreur constituait en soi une puissante force de dissuasion, il y avait des risques réels d’une confrontation nucléaire, comme on allait le voir peu après, quand le président Kennedy fut tenté d’utiliser l’arme ultime en réponse à l’installation de missiles soviétiques à Cuba.

Je me suis engagée dans le mouvement pacifiste, arborant fièrement l’épinglette du Y renversé… mais sans exaltation, plutôt en dilettante. Loin d’être une guerrière luthérienne comme Greta et ses camarades suédoises, je me contentais de manifester à l’occasion contre l’installation d’ogives nucléaires par le gouvernement Pearson, et de traduire en français les pamphlets de la section montréalaise du mouvement Ban the bomb, alors animée par Dimitri Roussopoulos, un vrai militant, lui (aux dernières nouvelles, il était engagé dans l’écologie politique).

Moi, ce fut le journalisme. Et le journalisme est le parfait antidote à l’absolutisme idéologique, car il vous force à considérer des points de vue divers et vous empêche à jamais de voir les choses « en noir et blanc » comme le fait Greta. En cela, elle trahit non pas tant son syndrome d’Asperger que son âge. C’est dans l’adolescence qu’on voit les choses en noir et blanc. Dès le passage au monde adulte, les choses commencent à se teinter de toutes les nuances du gris.

Mais justement, le gris ne pousse pas à l’action. Au pire, c’est une couleur qui risque de vous endormir.

PHOTO MARTIN OUELLET-DIOTTE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Greta Thunberg, hier à Montréal

Dans un monde désensibilisé par la culture de la communication instantanée – un monde où plus rien ne surprend, où plus rien ne choque, on a tout vu, tout entendu et où l’on ne croit plus à rien –, sans doute fallait-il la révolte viscérale des ados pour secouer la léthargie des pouvoirs face aux menaces climatiques.

Il ne fallait pas non plus n’importe quel ado pour porter cette cause, l’ado « normal » étant porté à oublier le jeudi sa grande angoisse du mardi, comme je le faisais moi-même. La grande peur de l’apocalypse nucléaire, je ne la ressentais pas tous les jours ; cela passait loin derrière mes petits soucis personnels !

Pour dramatiser l’angoisse des jeunes sur le climat, il fallait une ado hors norme, une personne « dérangée », « hantée », du bois dont on fait les grands mystiques ou les grands fanatiques.

Le mouvement écologique ne pouvait trouver de meilleure figure de proue que Greta Thunberg. Une sorte de croisement entre Bernadette Soubirous et Jeanne d’Arc.

Un personnage « habité » par une obsession qui a failli l’emporter (elle n’est sortie que récemment d’une dépression de quatre ans qui l’a rendue aphone et anorexique et qui a stoppé sa croissance). Une silhouette frêle et androgyne, un visage candide et poupin qui évoque l’enfance et l’idée que « la vérité sort de la bouche des enfants ». Une petite fille qui semble sortie d’un autre monde, plus proche du couvent que des rues de Stockholm. Une petite sainte descendue du ciel vert.

Que des adultes (ses propres parents au premier chef) aient monté autour de cette ado une habile opération de marketing visant à galvaniser la jeunesse mondiale, c’est l’évidence même… et cela n’a rien d’un sombre complot.

Toutes les campagnes de promotion, quelle que soit la hauteur de l’enjeu –, qu’il s’agisse de protéger la Terre ou de vendre une marque de bière – s’appuient sur les mêmes ressorts : une audience réceptive et un message symbolique à forte portée émotionnelle. 

Les jeunes étaient déjà réceptifs au discours écologiste, ils n’attendaient qu’une étincelle, et ce fut elle. (L’histoire n’est pas totalement romantique, cela va sans dire. On trouvera dans Reporterre, le web magazine dirigé par Hervé Kempf, l’ancien chroniqueur écologiste du Monde, des informations sur les dessous de la croisade de la famille Thunberg.)

Cela dit, je ne suis pas de ceux qui croient que cette jeune fille est manipulée.

Malgré son allure de gamine, elle a tout de même 16 ans et une maturité au-dessus de son âge. Elle est intelligente, posée. Elle s’exprime très bien en anglais (sa langue seconde). Elle maîtrise parfaitement ses coups : passionnée sur les tribunes, elle est prudente et peu loquace dès qu’il s’agit de répondre à des questions pointues. Au lieu de se ridiculiser en disant n’importe quoi, elle renvoie tout le monde à « ce que disent les scientifiques ».

Elle participe habilement à une opération qu’elle a elle-même lancée. Avant d’amorcer son combat public par une grève devant le parlement de Stockholm, elle avait convaincu ses parents écolos de vivre intégralement selon leurs principes… Sa pauvre mère s’est convertie à contrecœur au véganisme, et a renoncé à sa carrière internationale de chanteuse d’opéra pour ne pas avoir à prendre l’avion !

En ce sens, la croisade familiale de Greta s’apparentait au triomphe ultime de l’enfant-roi, à cette différence près qu’elle s’appuyait sur des arguments plutôt que sur de simples caprices. Redoutable, cette petite !